On croit que c’est terminé et puis, non, un carnet resurgit avec les notes prises sur le vif durant ces vacances-là.
1er décembre.
Découverte d’un pays. Découverte d’un bébé d’un jour. Souleyman. Une vie.
Abasourdie par la végétation, l’abondance de fleurs, de couleurs, la diversité des espèces végétales, des essences d’arbres, le côté foisonnant de la nature sous le soleil et face à l’océan Indien. [Nous avions quitté la métropole en hiver avec ses arbres dénudés.] Dans les « Hauts » de la côte ouest, on rejoint les nuages et l’humidité est perceptible immédiatement. D’ailleurs il se met à pleuvoir à verse.


5 décembre.
L’enfant pousse et change mystérieusement vite.
Aujourd’hui, balade au Tévelave, joli village et son église blanche, dans un décor somptueux. Café au café du coin, au départ des balades. La gentillesse des gens d’ici. Si nous ne l’oublions pas, nous achèterons des œufs de caille chez Madame R. Aperçu, grâce au cantonnier du village, un « lendormi » (caméléon) accroché à sa branche. Descente aux Avirons. Pharmacie. Maman bluesy. Photos de panorama au retour dans une lumière magnifique et de la « maison cadeau ». Délicieux carry « à la patte cochon » dégusté avec des pois du Cap et du riz.
La petite vie vient de passer deux heures dans mes bras sans pleurer ni ouvrir les yeux.

7 décembre.
Virée en bus à partir de l’Etang Salé jusqu’au Port. Patience et longueur de temps. Pendant 3 heures, les bus passent sous notre nez : l’un ne va pas au Port, l’autre n’a plus qu’une place, le troisième est à l’heure, c’est nous qui ne sommes pas au bon arrêt. Beau front de mer sauvage et foisonnant. Une fois au Port, la voiture entre les mains, nous filons à Saint-Denis entre les gouttes. Nous hantons les maisons de la presse et les librairies. Nous troquons notre envie de cinoche contre un temps de lecture, devant une bière bourbon, face à l’Echappée belle où nous avons trouvé 6 bouquins.


10 décembre.
Trouver une écriture heurtée comme le pas qui grimpe le sentier des Tamarins, à la régularité impossible sur la pente et les aspérités, les racines cachées dans la terre, écrire la respiration courte qui trouve son second souffle dans une pente plus douce. La souplesse de la terre, du sol sur lequel le pied rebondit dans un passage moins humide, la volupté de la marche plus ample qui se déroule, les glissades sur les feuilles de tamarins roussies, où ce qui échappe au contrôle du pied fait écho à la pensée qu’on a failli saisir, écrire la chute crainte, dans la boue collante où l’on s’enfonce, et trouver l’écriture qui ricane quand le pied s’arrache à sa ventouse.
11 décembre.
Visite du conservatoire national botanique de Mascarin, à Saint-Leu.

Saint-Leu dans le gris argenté du matin, un café noir Brûlerie de la Fournaise à déguster devant le bassin couvert de nénuphars.

Ici la végétation appelle tous les superlatifs. Les chercher dans le dictionnaire pour n’en oublier aucun. Les lister. Puis les appliquer justement selon ce dont on parle. Ne pas craindre d’abuser. On n’abusera pas.
Fougères : 10 000 espèces. Orchidées : 100 000.


Paphispedilum sp. si j’ai bien noté est le sabot de Vénus.
En 1819, la vanille est introduite à La Réunion. Il faut attendre 1841 pour trouver un moyen de reproduction sans l’insecte pollinisateur (une abeille au Mexique). Hommage à Edmond Albius, jeune esclave ingénieux.
J’ai noté l’Acrostichum aureum, pour acrostiche sans doute. De la famille des Ptéridaceae, à la grande feuille comme du velours. L’Asplenium nidus, nid d’oiseau, Aspleniaceae. L’Epidendrum orchidée pompon. Orchidaceae.
Toute cette succession de lettres me donne envie d’écrire.
Je découvre un palmier queue de poisson. [J’en (re)parlerai au dessinateur de femmes-poissons du vendredi.] Son origine est la Malaisie. On l’appelle Caryota mitais (sous réserve de mauvaise relecture…)
Il y a des palmiers à fruits rouges (dits de Chambeyron), des palmiers à sucre (Arenga pinnata), des palmiers dont les feuilles partent de 2 écailles pour se rejoindre – c’est incompréhensible sans le dessin – c’est le Corypha Utan ou « talipot » (je crois).

J’apprends que la plante indigène est identique à celle qui était là il y a des millions d’années. Ou des milliers. A ce stade, je ne compte plus. Que l’endémique est une indigène qui s’est transformée au cours des milliers d’années, et qui vit uniquement à La Réunion. Que l’exotique est apportée par l’homme. Que le flamboyant que j’aime tant est originaire de Madagascar. Que le jacaranda vient du Brésil. Qu’ici les plantes poussent 4 fois plus vite que dans leur pays d’origine et que certaines, très vite, sont qualifiées de « peste végétale ».
En 400 ans, ont été éliminés environ 70 % des 99 % de plantes endémiques, autrement dit de la végétation primaire.


Le manioc marron à petite fleurs blanches, qui pousse sur les plages retenait le sable. Il a fallu le replanter. Les tortues sont revenues pondre dessous. Elles mangent les feuilles. Sous le manioc marron, le lézard de Manapany, fluorescent vert aux taches marrons, ne se trouve que dans cette ville.

Le lendormi originaire de Madagascar ne doit pas être photographié au flash, je crois que ça l’aveugle. La femelle seule change de couleur. Quand le mâle, noir, s’habille de points rouges, c’est qu’il stresse…
J’apprends aussi que l’arbre des voyageurs est une peste végétale, comme le tulipier du Gabon ou l’hortensia qui prolifère du côté de la Plaine des Palmistes… Que la pomme latané est moins sucrée que le coco mais que c’est le seul fruit d’origine ici. Ce qu’on appelle « ivoire végétal » vient de son albumen séché, l’intérieur de la pomme latané. On trouve des pendentifs ou des porte-clés fabriqués dans ce matériau. Le litchi et la mangue viennent d’ailleurs. Les cultivars de La Réunion ont été créés par l’homme à partir de fruits « importés ». D’où les bananes sans graines. Le litchi vient de Chine. La variété blanche est un cultivar de La Réunion, labellisée, « la meilleure variété au monde », (je confirme). L’ananas Victoria créé à La Réunion aussi, est venu de Cayenne, son cultivar est « meilleur que partout ailleurs ».

Les scientifiques de ce conservatoire sont de vrais pédagogues, ils sont souriants, charmants, ont de l’humour. Ils nous parlent encore du latanier blanc, du rouge, du bois de fer « le protecteur de la forêt réunionnaise », ce bois qui ne brûle pas, même mort ! De l’oiseau cardinal et aussi du tek-tek, l’oiseau endémique qui construit son nid à même le sol.
Nous terminons notre journée par l’espace dédié aux caféiers. Et par la forêt de bambous, époustouflante.

Cahiers et carnets – Des voyages – LR≠8
Toutes les photos de cette publication sont de ©Marc Guerra.

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