Pensées d’automne

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Pendant que François Bon voyage de Philadelphie à Baltimore, ici on range le bois. Une tâche habituelle en prévision de l’hiver, associée à l’automne, aux jours qui raccourcissent, à l’humidité prégnante dans les maisons de pierre ; une tâche que l’on repousse de jour en jour, jusqu’à ce que le monticule agace la vue et l’ordonnance du paysage si l’on peut employer ce mot pour un décor aussi sauvage ; une tâche que l’on entreprend seul ou à deux, dans une économie de mots, et dans le flux des pensées du moment – gratifiante parce qu’elle apaise les tensions et que le résultat satisfait l’œil, qu’elle pérennise une certaine image de la campagne ou de la montagne à ce moment de l’année et mieux que cela, parce qu’elle nous rassure : nous aurons du bois pour l’hiver. On pense à tous ces auteurs qu’il faudra découvrir encore après Boussole, à toutes les musiques à écouter, aux atlas à feuilleter, parce que Mathias Enard nous y invite et qu’on ne peut se contenter de le lire. On pense à l’Orient et à l’Occident. On pense à la Turquie et aux deux millions de réfugiés syriens qui campent sur son territoire, à la Tunisie qui fait l’actualité pour le Goncourt cette fois, et c’est bien, mais en se disant que Pivot, le Bardo et un éventuel prix tunisien ne changeront pas grand-chose au fait que la lecture coûte cher là-bas [un Poche coûte au bas mot 20 dinars alors que le salaire moyen avoisine les 300… dites-moi si je me trompe, merci) ; on pense à l’intolérance de l’islam, à Hamed Abdel Samad, à Daesch, à ce que Lambert Schlechter en écrit sur son blog dans « attendri et sidéré » ; enfin, en parvenant à extraire la dernière bûche enfoncée dans la terre, on se dit qu’il faudra ratisser, que les sangliers labourent tout près de la maison cette année, on lève les yeux vers le sumac de Virginie, et on se demande si, à Baltimore ou à Philadelphie, villes horizontales ou verticales, les arbres gagnent le cœur de ceux qui les regardent.

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Texte et photo : M. Sauvage.

L’alcool et la nostalgie

C’est le titre d’un roman de Mathias Enard, publié aux Editions Inculte, en 2011, et chez Actes Sud, collection Babel, 2012. 6€.

Un roman mélancolique qui nous emmène de Moscou à Novossibirsk pour accompagner jusqu’à son village natal le corps d’un ami de Mathias, le narrateur. Au fil des pages – c’est un livre bref, de 80 pages environ – tout le passé resurgit, avec ses amours, ses excès, ses pudeurs, ses impossibles rencontres, quand tout se heurte malgré soi. J’y trouve du grain à moudre pour le projet d’écriture d’un lieu, dans l’aventure qu’a proposée François Bon cet été 2013…