Mon jardin de curé, Mireille Rouvière

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 J’ouvre le portail et j’avance en posant délicatement mes pas sur l’herbe mouillée de rosée du chemin, mais attention à ne pas marcher sur la grenouille rousse qui m’attend chaque matin. Surprise par son bond inattendu, moi comme un pantin désarticulé je finis par sursauter. Un jour je l’ai observée alors qu’elle avalait une grosse limace. Elle était statique seul ses gros yeux suivaient mes mouvements et me priaient de ne pas la déranger. Les perles d’eau reposant sur les ombelles épanouies révèlent un jardin enchanté. Prendre le temps d’admirer et de remercier toute cette belle nature. Inspirer, expirer, fermer les yeux et les rouvrir avec un nouveau regard. Pourtant tout ce labeur n’a pas été fait en vain, il va être temps de cueillir les cucurbitacées : pâtissons, potimarrons, butternuts, courgettes rondes ou longues, les courges n’ont pas encore mis leur couleur d’automne, elles patienteront. Les poireaux dressent leurs feuilles effilées de toute leur hauteur et semblent me dire : regarde au petit matin comme nous sommes fiers et vois comme les nuances du vert au violet sont éclatantes. Il faudra les butter afin que le blanc s’allonge. Les salades dépassent tout ce monde. Elles ont voulu se hisser si haut que leurs feuilles en sont devenues insignifiantes. Les oignons encore bien verts ne sont pas près de céder  leur parure, il faudra les y aider sinon nous n’en n’aurons pas pour cet hiver. Au frôlement les œillets d’Inde, plantes utiles au potager, se sont mis à exhaler leur odeur. Je suis toujours surprise par leur réactivité. Les haricots jaunissent, ils se sont épuisés à donner leurs belles et tendres gousses. Il faudra les arracher. Les basilics ont été atteints de gigantisme cette année ; que de bonnes soupes et de bonnes salades ils ont parfumées, eux attendront le gel pour terminer leur course. Les deux tournesols plantés un peu tard commencent juste à montrer leur corolle jaune, ils sont les soleils de mon jardin. Pourtant ils me tournent le dos et orientés vers l’Est ils attendent le grand astre. Ils apportent l’énergie nécessaire à toute cette basse-cour. Les tomates mûrissent difficilement, peut-être les ramasserons-nous vertes. Les choux continueront de se pommeler, il peuvent se réjouir, nous ne les cueillerons que plus tard. Les marguerites gardent encore quelques blanches pétales. Les nouveaux venus les Calamintha grandiflora resteront en place et passeront l’hiver en compagnie du romarin, de la sauge et de l’oseille. La rhubarbe nous invite à cueillir ses dernières feuilles pour enfin hiverner. Les framboisiers, cassissiers et groseilliers finissent de perdre leur parure. C’est bientôt l’automne une belle saison pour mon jardin planté à mille trois cinquante mètres d’altitude. Il est encore plein de couleurs et de vie et cet amoncellement de fruits et légumes me rappelle les saisons de Gisueppe Arcimboldo.

Texte : Mireille Rouvière

Ce texte a été écrit par Mireille Rouvière, fidèle participante des Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

Derrière le mur

…derrière le mur, la maison d’enfance ; la cour herbeuse au printemps, sèche l’été ; les graviers sous la plante des pieds dans les chaussures ouvertes, enlevés du bout des doigts, perchée sur une jambe, à huit ou dix ans, bousculée par les bourrasques du mistral qui gelait les joues l’hiver. Derrière le mur, la pompe à eau métallique au milieu de la cour, au col lisse à caresser en passant ; la meule de pierre ; les roses trémières qui frémissent encore ; l’angle du portail ; le figuier aux larges feuilles, délice des coccinelles ; la chênaie ; le pré vert, ensemencé de blé, de trèfle selon les années, jaune l’été ; coquelicots lumineux, bleuets tendres ; rouleaux de foin ; ballots de paille. Derrière le mur, le chemin de Mialouze, caillouteux, à la crête enherbée ; chênes verts ; genêts jaune d’or qui fouettaient les doigts ; écureuils furtifs ; chemin tampon entre la solitude de la maison et la route pour le village. Derrière le mur, champ de melons ou de lavande ;  la ferme des Donnadieu ; le stop à l’endroit de l’ancienne voie ferrée ; le Lauzon ; le virage à droite. Derrière le mur, le fenouil sauvage dans les fossés ; la chapelle Saint-Jean ; le croisement avec la grand-route pour Saint-Paul-Trois-Châteaux ; la montée vers le village ; les maisons de pierre aux toits de tuiles romaines. Derrière le mur, la place de la mairie, l’hôtel de ville, son drapeau et ses grands escaliers ; l’épicerie du père Masbeuf ; la boulangerie ; l’école ; l’église ; l’arrêt de bus ; le café où jamais on ne mettait les pieds ; le stade de foot ; la patte d’oie avec la route pour Valréas et le collège ; le château de Montségur et les ruines où se perdre et se délecter de la légende de la princesse, morte dans une oubliette. Derrière le mur encore les voix perdues, enterrées, disparues, et se précipitent alors à la mémoire, sans chronologie, en masse, dans un chevauchement chaotique, les leçons qu’ânonnait la grande sœur sur un coin de table de la cuisine ; les comptines inventées par la plus jeune ; les cris époumonés de la mère pour que cessent les chamailleries, l’imitation du clairon par le Pater, le dimanche, du haut de l’échelle de meunier qui descendait dans notre chambre ; le feuilleton radiophonique quotidien mais impossible de se rappeler le moindre titre, le moindre acteur, rien d’autre qu’un son typique de ces années-là, une façon de parler peut-être, pourtant je revois l’appareil et les oreilles captives ; les informations du soir sur l’unique chaîne de télévision et le silence religieux des dîners ; le générique de feuilletons suivis sagement assises dans un canapé de Skaï marron – Thibaud ou les croisades et le galop des chevaux ; Rintintin et le son de la trompette ; Ma sorcière bien-aimée ; la voix off des Envahisseurs… ; L’Homme du Picardie et sa rengaine terriblement nostalgique, la lenteur du feuilleton, le sillage de la péniche ; la musique saturée des Incorruptibles et celle de Daktari aux djembés entêtants ; le concerto de l’Empereur sorti d’un 33 tours posé sur le Teppaz, qu’écoutait ma mère dans la pièce voûtée du rez-de-chaussée, et dans une explosion de couleurs et de frissons, la magie psychédélique d’Atom Heart Mother… Derrière le mur, l’enfance inaccessible, les images pétrifiées de ce qui a disparu dans une strate du temps, un environnement devenu étranger, car rien ne reste plus du passé, rien ne bouge, la vie semble avoir déserté la cour, il n’y a plus de meule, plus de fontaine, plus de figuier…
 © Marlen Sauvage©

La maison s’appelait La Gentone, elle se dresse toujours à un kilomètre environ du village voisin, Montségur-sur-Lauzon, sur la route de Clansayes, dans la Drôme. Elle reste le lieu de mon enfance. Depuis qu’elle a quitté la famille, je suis retournée la voir, silencieuse derrière sa clôture, et à chaque visite, j’ai pensé à ce livre troublant de Marlen Haushofer, Le mur invisible, adapté au cinéma par Julian Pölsler (je recommande les deux !). La proposition de Médiapart tombait donc à pic ! Dans le roman de Marlen Haushofer, l’héroïne se retrouve seule dans un chalet en pleine forêt autrichienne, après une catastrophe planétaire. Toute vie semble s’être évanouie en quelques heures derrière un mur invisible qu’elle découvre au cours d’une balade avec le chien de la maisonnée. Ses amis ont disparu après une course en ville et ne sont jamais revenus. On assiste donc au fur et à mesure des pages à l’aventure quotidienne d’une femme seule au milieu de la nature, accompagnée par quelques animaux domestiques, qui nous raconte dans un journal son combat contre la peur et la solitude. Vers la fin du roman, l’héroïne cède à l’optimisme malgré l’enfermement où elle se trouve « A présent je suis très calme. Il m’est possible de voir un peu plus loin. Je vois que ce n’est pas la fin. Tout continue. (…) Le souvenir, le deuil et la peur existeront tant que je vivrai et aussi le dur labeur. » Il y est aussi question d’une corneille blanche… chacun voit dans cette image ce qu’il souhaite voir. J’en retiens le côté étrange, surnaturel peut-être, l’idéal accessible grâce à l’imaginaire, et le fait de pouvoir par le rêve retrouver tout ce qui nous a construit et nous constitue encore, telles ces images d’enfance comme de maison.

Texte et photo : MS

Ce texte a été écrit pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

Une éternelle renaissance, Monique Fraissinet

Salut montagnes bien aimées,
Pays sacré de nos aïeux.
Vos vertes cimes sont semées,
de leurs souvenirs glorieux….


Je suis née au creux d’une vallée cévenole, pile au milieu du vingtième siècle. Ce jour-là, le froid raidit et blanchit la campagne. Ma mère s’est accouchée, ma grand-mère paternelle est là, elle est la femme qui sait faire, la sage-femme est arrivée juste à temps. Dans la chambre, un petit réchaud tente de maintenir un peu de chaleur.  Mon père devient père. 

Couchée dans mon berceau garni de tulle rose, je suis emmaillotée telle une momie, la buée qui sort de nos bouches va se coller sur les vitres dégoulinantes.

 Les doigts de mon grand-père paternel s’activent dans la fabrication des sabots qui chaussent la moitié de la population de cette contrée. 

Les « sabots de Numa ». Les plus petits les portent pour aller à l’école, les plus grands ne les quittent que pour aller se coucher. Les bruits de leurs pas résonnent sur les chemins et les sentiers caillouteux. Collés derrière leurs charrettes chargées de bois, de foin, de fagots, de paille, ils avancent cahin-caha au rythme des attelages et des saisons. Vivre, s’accrocher au dur labeur qui transforme leurs corps anguleux, ne jamais lâcher prise. Economies de paroles, cœurs charitables. 

Aujourd’hui je n’ai plus froid, je regarde la fenêtre de la chambre où je suis née, je m’entends pousser mon premier cri. Mes parents et mes grands-parents étaient sûrement heureux. Les murs sont vides maintenant.

Refrain

Esprit qui les fit vivre,
Anime leurs enfants
Anime leurs enfants
Pour qu’ils sachent les suivre.

On n’entend plus les roues cerclées de fer des charrettes, on n’entend plus les clochettes des chèvres et les clarines des vaches qui dévalent les pentes pour venir s’abreuver au Tarnon, mais on entend toujours le silence, le silence frémissant de la nature, les feuilles des peupliers qui se frottent au gré du vent, le chant de la rivière, les glouglous, les roulis, les clapotis. Quelques poissons font du surplace quand soudain une truite jaillit, une envolée vers le ciel, pour se laisser retomber un peu plus loin, dessinant en surface des cercles concentriques. Une loutre sur la plage de galet est couchée sur le dos, dans ses deux pattes avant elle tient un poisson qu’elle dévore.

Ce printemps de confinement m’a restitué le silence de mes jeunes années, c’était ce même silence qui remplissait la vallée bruyante de sa vie sans cesse renouvelée.

Redites nous grottes profondes,
L’écho de leurs chants d’autrefois ;

Nos veillées cévenoles ne sont pas ensevelies à jamais, elles sont revenues en même temps que sont venus ou revenus ceux qui cherchent la vie paisible, ceux qui disent vouloir donner un sens à leur vie, loin des tumultes et des désordres de la ville.  Il y a même ceux qui, durant un mois de l’hiver, suivent le festival de Contes et Rencontres, chansons, théâtre, contes, musiques d’ici et d’ailleurs. Ce pays nous convient bien, il n’y a pas de solitude hivernale. J’ai vu, un soir, chez l’habitant, une petite fille très attentive, assise sur la pierre à côté de l’âtre, elle battait du pied en écoutant la musique, le chien roulé en boule à ses pieds. En elle, c’était moi.

O vétérans de nos vallées,
Vieux châtaigniers aux bras tordus,
Les cris des mères désolées,
Vous seuls les avez entendus.

C’est l’automne, les châtaigniers laissent éclater leurs bogues. Le sol est parsemé de ces boules piquantes, béantes, laissant entrevoir leurs fruits arrondis et sombres à la petite tête plate plus claire. Je me penche, comme s’est penchée ma grand-mère et les femmes d’avant, leurs têtes chenues, toutes de noir vêtues, portant le deuil depuis leurs vingt ans. C’est à elles que revient la dure tâche d’aller châtaigner. Elles rentrent à la maison, les doigts meurtris, les corps fatigués de leurs efforts. Faut nourrir les gens et les bêtes. L’arbre à pain porte bien son nom.

Les hommes sont dans les champs, c’est la saison pour ramasser les pommes de terre et cueillir les pommes dans les vergers.

En face de moi, un châtaignier au tronc creux, une large brèche ouverte par la foudre, symbole d’une paradoxale fragilité. J’entre dans l’âme de l’arbre, j’en sens les vibrations, je l’écoute gémir et grincer, c’est pour moi un enchaînement d’émotions vives, je souffre avec lui, je pose ma main sur ce qui reste de l’aubier brûlé par les écobuages mal contrôlés, je tente d’apaiser sa souffrance en même temps que j’entends la souffrance de tous ceux qui sont passés par là, sous ce châtaignier, plus que centenaire, toujours vertical, qui puise encore sa force et son flux vital dans la terre pauvre des Cévennes schisteuses et continue à vivre avec sa blessure ouverte qui jamais ne se refermera. Les blessures des femmes sont silencieuses, comme les blessures du châtaignier, elles restent ancrées dans leurs corps, s’apaisent, peut-être, et la vie continue.

Je marche silencieusement dans leurs pas, mesure l’air qui pénètre mes poumons, fixe un grand moment les rayons du soleil qui modifie l’aspect des feuillages et noircit les troncs des châtaigniers, accepte ce vent doux qui caresse ma peau et s’infiltre précautionneusement dans mes cheveux. Mon aïeule, ma bisaïeule et ma trisaïeule, et d’autres avant, étaient là. Aujourd’hui c’est moi, ainsi file le temps. Je pousse un énorme soupir. Mélancolie ou la satisfaction d’être là, je n’en sais rien, un peu des deux sans doute.

Suspendus aux flancs des collines,
Vous seuls savez que d’ossements
Dorment là-bas dans les ravines,
Jusqu’au grand jour des jugements.

Le hameau de Grattegals © Monique FraissinetLe hameau de Grattegals © Monique Fraissinet

Adossé aux flancs de la colline, se cramponnant aux rochers schisteux, regardant passer depuis plus de cinq cents ans la rivière Tarnon, le hameau familial de Grattegals, plus communément dénommé « Le moulin de Grattegals » puisqu’il y a un moulin à eau depuis la fin du Moyen-Âge. Les roues à aube tournent encore et plus que jamais, trois meuniers ont pris en main la mouture des céréales et des châtaignes. Notions récentes d’agriculture biologique, raisonnée, avant la question ne se posait pas. Tout était si naturel.

Ceux qui ont vécu à Grattegals depuis des temps reculés y sont restés post mortem, la religion protestante les  a définitivement attachés à cette terre. Les cimetières privés familiaux cévenols sont les témoins de l’histoire des Cévennes. C’est un siècle et demi de l’histoire de ma famille que je feuillette sur les stèles gravées. 

Les sols en terrasse, soutenus par les murs des bancels construits en pierre sèche, sont le reflet du courage et de la maîtrise des anciens à savoir construire, à vouloir aplanir le sol pour cultiver la moindre petite parcelle de terre afin de nourrir la famille. 

Pourquoi irai-je ailleurs ? Une ancre m’y attache profondément, rien ne saurai m’en détacher, comme eux je voudrais y rester pour l’éternité. Ma terre, mon monde, mon univers.

Je viens de m’asseoir là, près de l’eau, le soleil est passé derrière la masse abrupte des falaises du Causse Méjean, la lumière baisse, les contrastes entre l’eau et les pierres s’atténuent. Quelque chose me fait sursauter, je ne distingue pas. Les bruits et la vie dans la nuit s’amorcent. La faune sauvage s’agite profitant de la tombée de la nuit.

Ce soir, comme les autres soirs le castor va suivre le sentier qu’il s’est créé pour rejoindre son réfectoire, plonger dans l’eau, sa masse sombre est à peine perceptible dans la profondeur de la rivière, la loutre noire assouvira sa faim en dégustant le poisson, le couple de hérons cendrés survolera le lit de la rivière, filant à tire-d’aile vers le seuil d’eau qui alimente le moulin, le chevreuil viendra brouter l’herbe, une oreille aux aguets, sensible aux moindres bruits, levant régulièrement la tête, sans cesse humant l’air puis d’un bond d’au moins deux mètres de haut, comme un ressort remonté à bloc, il s’enfuira. 

Par-dessus l’eau du béal, une araignée a tendu un piège à une libellule qui s’attardait par là. Les chauve-souris maîtrisent leur vol, sillonnent l’air, zigzaguent en faisant la chasse aux moucherons. 
La nuit est sombre, quelques lucioles brillent, d’autres « clignotent », preuve que l’été est là.
Je leur laisse la place, je rentre chez moi, ils sont chez eux.

Refrain

Esprit qui les fit vivre,
Anime leurs enfants
Anime leurs enfants
Pour qu’ils sachent les suivre.
…..
Ici, chaque pierre parle à qui sait l’ entendre.
Ici chaque arbre parle à qui sait le voir.
Ici la rivière murmure ou gronde selon les saisons.
Ici le ciel parle à qui sait le scruter.
Ici chaque porte s’ouvre sur un passé qui ne doit pas mourir.
Ici c’est l’esprit des anciens qui m’anime, c’est leur travail qui résiste
Ici, le cœur du hameau bat, rien ne s’effondre, tout est éternelle renaissance, 
L’esprit cévenol qui me fait vivre.

Texte et photo : Monique Fraissinet

Nota de l’auteur : Ce texte évoque le chant « La Cévenole » (Paroles de R. Saillens & Musique de L. Roucaute), parfois appelée Marseillaise huguenote.

Ecrit par Monique Fraissinet, des Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, ce texte est aussi publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

Brouillard, Chrystel Courbassier

 © Chrystel Courbassier©

Synopsis du film Fog de John Carpenter, 1980 : En Californie du Nord, le petit village de pêcheurs, Antonio Bayest sur le point de célébrer son centenaire. Mais la quiétude de la ville est perturbée par de mystérieux événements, dont le meurtre horrible de trois pêcheurs locaux, accompagné par un étrange brouillard lumineux qui s’étend sur terre et sur mer. Le prêtre de la localité, le père Malone, découvre le journal de son grand-père, qui contient un sombre secret inconnu des habitants actuels de la ville. Le journal révèle que, en 1880, six des fondateurs d’Antonio Bay (dont le grand-père de Malone) ont délibérément coulé et pillé l’Elizabeth Dane, un navire appartenant à Blake, un homme riche mais atteint de la lèpre qui voulait trouver un havre de paix pour lui et sa communauté aussi atteinte de la même maladie. Les six complices ont allumé un feu sur la plage près des rochers, et l’équipage, égaré par le faux phare, s’est écrasé sur les rochers. Tous les passagers du navire ont péri. La motivation des six était la cupidité et le dégoût de voir s’installer une léproserie à Antonio Bay. La ville et son église ont ensuite été fondées avec l’or pillé sur le navire échoué. 

Le brouillard mystérieux qui s’étend sur la ville est parcouru par les fantômes de Blake et de son équipage, qui reviennent, assoiffés de vengeance, pour le centième anniversaire du naufrage et de la fondation de la ville, afin de prendre la vie de six personnes. 

Citation d’ouverture : « Is all that wee or seem but a dream within a dream » (tout ce que nous croyons voir n’est qu’un rêve dans un rêve) Edgar Allan Poe.

Au terme d’une journée de fin de saison chaude. Après avoir généreusement tiédi les corps en selle essoufflés par l’effort, réchauffé les buissons et le sol recouvert d’herbes sèches, le soleil entame sa descente progressive derrière les montagnes. L’ombre commence à s’étendre et une masse brumeuse à se répandre sur le paysage caussenard. Brouillant la vue lointaine, elle s’avance, inquiétante, à petits pas sournois d’abord puis plus prestement. Marée montante, elle inonde inexorablement la terre sous son poids, camoufle l’horizon, efface les sentiers, recouvrant tout sur son passage d’un immense halo enveloppant. Happe les éléments, obscurcit l’atmosphère. Et de l’opacité perfide, jailliront bientôt quelque monstre terrifiant qui m’entraînera, me faisant disparaître à jamais. Tout repère effacé par la mer de nuages, cette terre que j’ai choisie soudain devient hostile. Cette terre qui me fascine, m’apaise et m’angoisse à la fois. Cette terre désertique, mystérieuse, peuplée de fantômes que je ne connais pas, d’histoires qui me sont étrangères comme je me sens parfois moi-même. Juste envie de fuir, se sauver, trouver un refuge, cesser de regarder derrière.

Texte et photo : Chrystel Courbassier

Ce texte a été écrit par Chrystel Courbassier, fidèle participante des Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

La Rame, Claudine Albouy

La Rame © DRLa Rame © DR

Elle est là, insolente au  milieu de la prairie.

Elle cherche à se dissimuler discrètement.

De face elle joue l’arlésienne, invisible cachée par la véranda noyée sous les roses rouges et roses. Elle lui offre un refuge, une cachette rêvée. 

Nous sommes en mai, les œillets blancs à tiges courtes se détachent du vert tendre de l’herbe. Le moindre frôlement nous emporte dans une envolée de parfums. Quand la floraison nous inonde, on en rapporte fièrement des brassées à l’école. Les effluves sont si violents qu’il faut emprisonner les œillets dans plusieurs feuilles de papier journal et les glisser dans une caisse sur le toit de la voiture !

Mais ne lui volons pas la  vedette, la star c’est elle, celle que les promeneurs tentent d’apercevoir de la petite route, celle qui donne naissance à un imaginaire peuplé de logements insolites !

Elle c’est la Rame.

La princesse de fer, c’est un wagon de métro seconde classe vidé de son contenu, plus de banquettes en bois ! Ah si, du mobilier une chose demeure : le strapontin du chef de train installé en tête de la véranda.

1951, Jean travaille à la R.A.T.P. il récupère ce wagon avant une fin de vie programmée chez le ferrailleur. Jean est un bricoleur infatigable doté d’un sens de la récupération créative. Avec un ami, ils construisent une plate-forme en ciment et en moellons, un véritable piédestal pour recevoir la Rame. C’est le seul moyen de la mettre à niveau car le terrain est pentu. Il faut pour sortir le wagon de l’atelier de la Villette à Paris : un camion, une grande remorque, des motards pour accompagner ce convoi exceptionnel.Terminus le hameau de Vaux-les-Huguenots dans les Yvelines à quarante-huit kilomètres de Paris.

Le wagon commence alors une nouvelle vie immobile, une sorte de retraite, une mutation.Transformation intérieure rapide, l’extérieur devient un espace d’inventions diverses. Jean donne libre cours à son  imagination fertile ! La Rame s’enrichit sur le toit d’une éolienne fabrication maison. Les jours de grand vent elle tourne si fort que la dame de fer tremble de tout son corps, elle vibre et nous nous extasions devant le filament de la lampe qui vacille et prend de l’assurance. Ces jours venteux le bruit est tel que nous partons dans un voyage mouvementé pour une destination inconnue, place à la rêverie… 

Dans la boîte magique de notre enfance dans la Rame, le soir venu il y avait aussi le poste à galène qui crachote une musique lointaine on se bat pour avoir les écouteurs, la lampe à pétrole et son fragile manchon que nous avons l’interdiction  de toucher et les briques chaudes enveloppées dans le papier journal pour réchauffer les lits gelés l’hiver.

Un pêle-mêle de découvertes incroyables pour les petits Parisiens que nous sommes… Un plongeon dans les années passées, un arrêt sur image. Nous revenons dans la réalité comme d’un coup de baguette magique au son de la pompe à eau qui grince soudain sous les coups de boutoir d’ un bras énergique ou le carillon de la grande horloge comtoise.

Aujourd’hui il ne reste plus que des vieilles photos accrochées dans un coin de mémoire pour nous susurrer que nous pouvons et devons toujours rêver…

LA FEMME A LA POUSSETTE SCULPTURE DE PICASSO 1950

Pourquoi avoir choisi cette œuvre ? Dans le parcours de Picasso j’aime cette période de très grandes sculptures où sa main explore dans le concret la résistance des formes, l’obstination à persévérer dans leur être, il aimait à dire qu’il dialoguait avec la matière presque un art anthropologique. Il donne à un objet périssable une apparence d’éternité il est un artiste et son œuvre lui survivra.

Aujourd’hui on dirait qu’il détourne les matériaux pour leur donner une deuxième vie. Assembler des objets hétéroclites, les détourner de leur fonction première, les faire cohabiter, les inclure dans une même sculpture parce  qu’ils sont empreints de poésie ou que leur plastique est attachante  Picasso fait un mariage réussi pour une éternité.

Cette femme filiforme prolongée d’une jupe droite perforée pousse une poussette avec un enfant, c’est un assemblage de plaques de fourneaux moules à gâteaux fixés à l’envers pour les seins et des objets divers au rébus constituent l’essentiel de l’œuvre qui naît un an avant la dépose du wagon.

Pour moi c’est une symbolique complète de la Rame, des inventions créatives de Jean. C’est aussi l’image de la maternité, une enfance avec une mère grande qui domine, un parallèle aussi avec la femme mère omniprésente derrière de nombreuses œuvres une mère qui couve. Celle ci n’enferme pas, elle est aérienne mais la tête en colombin se prolonge comme un périscope, cette mère invisible dans le wagon mais tellement présente comme dans un sous-marin.

Texte et photo : Claudine Albouy

Ce texte, écrit par Claudine Albouy, participante de très longue date aux Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, est publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

Quelque part en Lorraine, Liliane Paffoni

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Quelque part en Lorraine. Et c’est loin.

Un pré long et étroit, coincé entre une haie et une pâture. Quelque part en Lorraine. Un pré planté de mirabelliers, vieux, tordus, disgracieux pour certains. C’était la fin de l’été mais pas encore l’automne. Un temps suspendu.

Août, c’est le meilleur mois dans notre coin. La saison des mirabelles.

Quelqu’un disait : on va aux mirabelles. Ce n’était pas un ordre, ni une interrogation. Une évidence. On va aux mirabelles. On embarquait les cagettes dans la voiture, les petits seaux blancs et la longue perche munie d’un crochet pour « holer° » les branches. On traversait le village, on longeait la départementale, puis on tournait à gauche  et la voiture s’enfonçait dans les chemins de terre. Elle brinquebalait dans les ornières et nous, les enfants, nous riions, heureux d’être secoués. Les vaches nous regardaient passer, impassibles, en mâchonnant des brins d’herbe, peu émues par le vrombissement du moteur. Les mirabelliers étaient là, bien alignés, presque au garde à vous. Leurs branches noires et tordues ployaient sous les fruits d’or : mirabelles rondes, bien dodues, toutes jaunes, piquetées de taches de rousseur, juteuses et sucrées. L’air embaumait : un mélange d’herbe sèche, de fruits mûrs, de soleil. Le pré était déjà parsemé de  reflets jaunes que l’on devinait à travers les broussailles et des orties égarées, qui dans quelques instants, allaient écorcher et piquer nos doigts. Chaque année, on entendait le même refrain paternel : « L’année prochaine faudra couper tout ça avant de venir. ». Le temps passait. Et l’année suivante, rien n’avait été fait. Le charme était là dans ces phrases répétées inlassablement. On « holait ° » les branches et une pluie de mirabelles descendait du ciel. Nous, les enfants, faisions exprès de rester sous les arbres pour être bombardés de fruits, on criait mais pour rien au monde on aurait voulu que cette pluie s’arrête. On se mettait à genoux et on ramassait, on ramassait. A la longue, les doigts devenaient poisseux et sucrés, une douleur sourde s’installait au creux des reins, la sueur coulait le long du cou et des joues. Chaque année était une année exceptionnelle. Les fruits étaient toujours plus sucrés, plus gorgés de jus, plus beaux que ceux des années précédentes. «  Tu crois, non, c’était mieux l’an passé, non, cette année, c’est miraculeux, les nôtres sont les plus belles !» Les rires éclataient, les bouches étaient barbouillées de jus. Les vaches nous rendaient visite, il fallait les chasser avant qu’elles ne se régalent de notre récolte. Elles s’en allaient nonchalamment en nous regardant de leurs gros yeux noirs. La première récolte était terminée. On chargeait cagettes, seaux et perche dans le coffre. Sur le chemin du retour, on pensait aux tartes, aux confitures et aux tonneaux qu’il faudrait remplir pour la mirabelle. Les prés défilaient, la voiture cahotait, les rires s’étaient tus, le soleil déclinait en silence mais la lumière était si belle, si .douce. Elle nous consolait car nous savions que la fin de l’été approchait mais  aussi la fin des vacances.

Texte et photo : Liliane Paffoni

holer : signifie, dans mon pays, secouer les branches avec un crochet

Ce texte a été écrit par Liliane Paffoni, participante de très longue date aux Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

Danse avec la mer, Monika Espinasse

Photo : M. Espinasse – Emil Nolde, La mer.

J’aime la mer. La mer de Nolde, la mer de Richter, la mer de Trénet, la mer de Debussy. La mer dessinée, peinte, chantée, dansée. Et la mer que j’attends tous les ans, c’est la mer Méditerranée. Ressourcement, renaissance. Une respiration dans ma vie de montagne que je n’ai pas vraiment choisie. Une belle montagne, sauvage et accueillante. Mais moi, j’aime la mer. En Italie, en Sardaigne, en Corse, en Languedoc. Et quand je suis devant la mer, je fonds. Je l’accepte avec le vent, la pluie, mais je la préfère avec le soleil du Midi.

Aujourd’hui, elle bouge, cette mer, tourmentée par le vent du nord, rafraîchie par les courants froids. Les vagues caracolent, se déroulent, moutonnent en approchant du rivage. Sombre ligne d’horizon piquée de mâts de bateaux lointains, ciel bleu roi miroitant en stries ondulantes dans une eau turquoise. Sur la plage de sable grège se meurent les dernières vaguelettes d’un vert glauque. J’y vais. J’avance lentement dans l’eau qui me vient à peine jusqu’au genou. Plus loin, plus profond. La mer monte, les vagues se jettent sur moi, m’éclaboussent. Les sentiments cèdent aux sensations, choc, froid, recul, puis l’eau m’environne, l’eau salée, âpre, quand je plonge enfin. Elle se faufile entre mes doigts, elle satine mes mains d’une douceur inattendue. Les pieds sont ancrés dans le sable, les chevilles sont glacées, l’eau se réchauffe lentement autour de moi. Les vagues se font impérieuses, me renversent, je les reprends dans mes bras, j’y vais à califourchon, à plat ventre, je saute, je plonge, chaud, froid, le vent souffle autour de moi, l’eau devient tiède, familière, accueillante. Les crêtes argentées m’assaillent, m’avalent, me font rejaillir au creux du vallon ondoyant, j’expire, mes mains battent l’eau, cherchent l’équilibre, j’émerge et je succombe aux prochaines vagues. C’est un jeu entre les éléments et moi, rien qu’un jeu, je souffle, j’explose de joie, de rire, de reconnaissance, c’est moi qui mène le jeu, qui danse avec la mer, qui flotte sur l’eau puissante, qui me laisse porter. Jusqu’à la rive. Jusqu’à la plage ensoleillée.

Le vent est tombé, le ciel est bleu, la plage s’anime. Deux par deux, chaises-longues et parasols s’alignent au bord de l’eau, des corps nus et bronzés sont allongés dans le sable blond sur des serviettes turquoise, fraise écrasée, orange éclatant, sous un parasol vert pomme Granny Smith… de loin, je ne vois que les taches de couleur…. une grosse bouée d’enfant et un mini-bikini se répondent en  rose fluo. Sur le mur de rochers, un pêcheur pose sa ligne. Le calme règne. Je suis sortie de la mer. Je m’étends sur le sable chaud. Je ferme les yeux. Le soleil a percé les nuages et chauffe mon visage. Le clapotis des vagues m’endort.

C’est le dernier jour des vacances.

Texte et photo : Monika Espinasse

Ce texte a été écrit par Monika Espinasse, l’une des premières participantes aux Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

La défaite est parfois aussi douce que la victoire, Anne Vernhet

Homme libre, toujours tu chériras la mer !

Je ne suis pas un homme et la mer on ne la voit pas. Pourtant elle est là. Par-delà les montagnes et les vallées. Elle est là dans le souvenir des profondes gorges qui se laissent deviner. Elle est là dans l’horizon sans fin qui se déroule sous mes yeux.

Je suis à la Serre. Point culminant de mon exploitation agricole et de cette partie du Causse Méjean. Ici les arbres se sont éclipsés pour me permettre ce voyage. Les brebis y paissent une partie de l’été. Tous les matins et soirs, en donnant à boire au troupeau de cette eau que la mer si lointaine nous refuse, je peux m’évader.

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 La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Je cherche mon image dans ce miroir invisible. Mon âme cherche à saisir un espace infini. Je m’élance, m’envole, mais je retombe sans cesse dans les ravins, m’écorchant dans les buissons et sur les rochers.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Devant ce paysage je me sens chez moi. Sa beauté et son immensité me comblent. Je crois me retrouver, découvrir qui je suis. Mais mon esprit s’égare et tourne en rond. J’ai beau chercher, seule mon image me fait face. 

Le vent souffle souvent. Les orages trouvent ici leur meilleure scène. Les nuages noirs s’invitent sans prévenir et le tonnerre peut s’exprimer sans limites. Les zébrures au loin montrent une colère insoupçonnée. Colère de la Terre. Colère du cœur.

 Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

J’ai beau chercher je sais que je ne trouverai rien. Tout est trop grand, trop loin, inaccessible. A la mesure des mes pensées que je ne peux canaliser. J’ai beau scruter tous les jours ce même relief, ces montagnes, ces bois, ces champs ; je ne connais rien ; je ne reconnais rien. Le paysage m’apparaît comme différent chaque jour. Le même mais subtilement différent. Changement de luminosité. Nuances des couleurs. Odeur de la terre et de l’herbe sèche. La beauté du lieu m’enivre mais me dérobe son essence. Je resterai toute petite devant elle.

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Mon esprit refait surface. Le vent m’enveloppe, ébouriffe mes cheveux et me ramène à la réalité. Je sens sous mes pieds cette  terre. Dure et hostile elle est et elle restera. Pourtant, son charme n’a pas été sans effet. Des générations d’hommes et de femmes se succèdent pour tenter de l’apprivoiser. J’en ai des preuves tout autour de moi. Murets faits de pierres arrachées à ses entrailles. Défriches sans cesse reconquises par une armée de genévriers et de buis. Ravins qui se creusent dans les pluies torrentielles des équinoxes. 

Le combat est inégal.

Mais la défaite est parfois aussi douce que la victoire.

Le vent est tiède dans la soirée d’été. Il caresse mon visage. Des nuages gris apportent une fraîcheur bienvenue. Les brebis sortent de leur léthargie et le son des cloches accompagne leur déambulation. 

La vie reprend son cours.

Texte et photo : Anne Vernhet

Ce texte a été écrit par Anne Vernhet, participante aux Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage