Baie-Saint-Paul. Hôtel de la Belle Plage où dort un chalutier rouge, L’Accalmie. Tout me fait signe ici. J’admire ce soir le vol des oies blanches sur le Saint-Laurent. D’abord elles ont envahi une petite bande de terre, groupées, elles cacardent si fort que leur discours m’étourdit. Comme une mise en garde, un conseil, une promesse. Une pensée frémissante dans l’air qui nous sépare. Puis elles s’élancent superbes d’un vol gracieux. Kaname Akamatsu. Vieux souvenir d’économie que je répète comme un mantra. Mais le trouble n’est pas là, ni la menace, ni le vertige. Il loge ailleurs, dans ce que je fixe des yeux depuis des minutes entières et qui reste insaisissable, coincé quelque part entre le cri des oies et leur envol. Surtout ne pas baisser le regard, déployer tous mes sens, capter l’onde qui traverse le ciel jusqu’à moi. Partir. Tout laisser là. S’envoler avec les oies. Superposer mes ailes aux leurs et me laisser porter. Effacer ma vie d’un coup, comme un point qui disparaît, introuvable, inatteignable, évanoui. Profiter de la pensée si transparente pour lui emboîter le pas et surfer sur d’autres rencontres, d’autres vies, d’autres… Quelque chose me dit qu’aujourd’hui les sirènes ont migré des eaux denses aux ciels lumineux.
Image © Marc Guerra, Des poissons et des femmes, ≠30
Nous poursuivons notre voyage dans l’univers Des poissons et des femmes entamé le 4 janvier et pour une année entière : sur une image de Marc Guerra, j’écris un texte et publie le tout chaque vendredi… jour du poisson !
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