Petits bonheurs (30)

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Sauver des griffes du chat un minuscule « zoizo vert » ou « oiseau-lunettes vert » ou « zozterops olivaceus »…

Texte et photo : Marlen Sauvage

Partageons nos bonheurs !

Vous êtes heureux ? Dites-le !
« Nos téléphones se prêtent bien à cela, on marche, et hop on attrape un instant qui surgit, aussi fugace que sacré, unique et délicieux, et on continue le chemin d’un pas de plus vers autre chose…  »
Sylvie Chaudoreille (en réponse à ma proposition)
1 image et 1 phrase que je publierai dans une série « Vos petits bonheurs ». A adresser à
marlen.sauvage@orange.fr

Beauté (9)

Le sentiment-paysage du 23 octobre à 20h55, par Sylvie Chaudoreille :

« …est une figure libre sans air de déjà vu, il est une ombre projetée surgie de sous les pavés, il est la plage faite de gouttes de lumières il est le vent il est le temps »

Texte et photo : Sylvie Chaudoreille

Quel serait votre « sentiment-paysage » du moment (ou d’un moment…) et quelle photo pour le représenter ? J’attends vos images sur lesateliersdudeluge@orange.fr Merci !

Entrer dans des maisons inconnues 

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Elle avait la migraine et dévalé les rues. Jamais elle ne retenait rien des villes et de ses déambulations, mais de ce jeudi 19 août à 15 h 11, elle se souviendrait. Boulevard Vauban près de l’hôtel de Normandie, un tressaillement. La perspective de la contre-allée bordée d’arbres auprès de laquelle gisait un oiseau mort… Elle s’avança. L’image persista. Elle secoua si fort la tête pour la chasser qu’elle en vacilla, s’appuya à un platane et tourna le regard vers la façade de l’hôtel mangée par le lierre. Cette sensation d’étrangeté familière. Et un désir d’entrailles à dormir là. Elle traversa la chaussée. Une nausée l’emporta, elle s’appuya à l’un des piliers de l’entrée, retrouvant dans la rugosité de l’enduit quelque chose de celui de la maison d’enfance, et sa blancheur jaunâtre. En pénétrant dans le hall rose thé, la surprise l’étreignit de ne rien reconnaître. A quoi s’attendait-elle ? Foulant l’épaisse moquette, elle s’avança jusqu’au comptoir derrière lequel se tenait une employée au sourire convenu qui pourtant s’inquiéta de sa pâleur. Lui offrit un verre d’eau et l’installa dans un canapé de cuir blanc. Alors elle éprouva la fragilité de sa nuque, un échafaudage de vertèbres aux ligaments enflammés, la douleur intense qui plongeait du haut du dos vers le bras droit. Elle payait son inconséquence. La fatigue venue, elle avait opté pour la prochaine sortie sur l’autoroute, suivi la direction d’Auxerre, luttant par des bâillements contre le désir de dormir qui alourdissait ses paupières. Elle entendait la voix de son père « toujours s’arrêter sur le bord de la route dès que le sommeil vous prend… ». Maintenant qu’il avait franchi le seuil d’un autre monde, ses paroles traversaient le temps plus souvent qu’à leur tour. Elle n’avait pourtant pas suivi son conseil. En mode automatique, à la sortie 19, elle avait quitté l’A6 et emprunté la nationale, suivi le centre ville, garé sa voiture au hasard d’un parking pour respirer l’air frais et marcher dans les rues médiévales. La tour de l’Horloge l’avait ramenée à la guerre de Cent ans, à celle des Deux-Roses, à ces vieilles rancœurs qu’exprimaient encore dans son enfance les Bourguignons de la famille envers les Anglais… Sans doute les maisons à colombages ici comme dans tant d’autres villes moyenâgeuses perturbaient-elles son souvenir… Sans doute se fourvoyait-elle et n’avait-elle jamais mis les pieds ici. A cet instant, dans le canapé blanc, elle s’en tint là. Mais la vision de l’oiseau au pied d’un arbre la tenaillait. Lever les yeux, contourner l’incontournable. Le plafond aux moulures anciennes avouait l’âge de l’hôtel. Etait-ce bien celui-ci ? Elle aimait son côté suranné et regrettait qu’on ait de toute évidence voulu en gommer l’aspect vieillot.

Elle réserva une chambre et donna le nom de son père, « mon nom, pensa-t-elle, celui que je ne porte plus depuis des lustres ». La lourde clé au numéro 47 vieilli dans son écrin d’émail pesait dans sa main d’un poids de passé. Elle emprunta l’ascenseur, assaillie de nouveau par l’image de l’oiseau cette fois dans une boîte à chaussures. « Je l’avais ramassé et devant mon insistance et mes larmes, papa avait cédé. Nous devions reprendre la route des vacances le lendemain, peut-être pensait-il que l’oiseau ne passerait pas la nuit… » Trente ans auparavant, seul un escalier menait au deuxième étage, nul ascenseur alors, elle retrouvait encore en fermant les yeux le moelleux de la moquette sous la main le long de la rampe…

Elle enfonça la clé dans la serrure, mais le ventre noué, étonnée qu’une autre main la tournât pour elle, la volonté de revivre un fragment d’enfance si ancrée dans son chagrin. La première image de la chambre et celle de la colombe de Rosine Wachtmeister au-dessus du lit fut une révélation. Rien qu’elle n’aimât dans ce dessin, la surprise se trouvait dans le symbole de la colombe, des dernières conversations avec son père, de la sensation sur son épaule d’une paix sereine au moment de la cérémonie d’adieu. Dans le grand lit elle s’allongea, cherchant à extirper du fond de sa mémoire ce qui y gisait comme un poids mort. Quand elle se réveilla, le ciel s’assombrissait, par la fenêtre une cavale de nuages fonçait droit sur la contre-allée, ses platanes, et sous la rangée d’arbres, une petite fille ramassait un oiseau tombé du nid des années auparavant. Elle jeta un œil au-dessus des toits de la ville. « J’ai déjà admiré ces toits. J’ai rêvé vivre dans les hôtels, voyageant d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, j’ai fermé les yeux et respiré à fond l’air de cette ville qui me parlait d’ailleurs, j’avais dix ans… » Quand elle redescendit plus tard, la tête moins cotonneuse, l’aspect désuet de l’hôtel ne lui évoqua plus rien. Il lui sembla avoir tout inventé : la contre-allée bordée de platanes, la boîte à chaussures, le poids de la clé. Réveillée tout à fait dans la nuit qu’éclairaient deux lampadaires posés sur les piliers à l’entrée de l’hôtel, elle traversa la chaussée, leva la tête vers le deuxième étage et ses chiens-assis. Elle avait admiré la vue de la ville de sa chambre sous les toits. Elle rêvait encore de vivre dans les hôtels, voyageant d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, elle avait fermé les yeux et respiré à fond l’air de cette ville qui lui parlait d’ailleurs, elle avait dix ans…

Texte et photo : Marlen Sauvage

Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture permanent proposé par François Bon sur le tiers-livre. Vidéo explicative ici, sur la chaîne youtube de François Bon.

Naissance

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De sa gorge s’échappe un son aigu et discordant, elle ne reconnaît pas son cri, il éloigne les oiseaux. A l’intérieur d’elle-même, c’est tout un chaos bouillant. Son sang chauffe, ses vaisseaux se dilatent et charrient le liquide brûlant du cœur aux poumons, jusqu’à tous ses organes vivifiés dans l’instant, et la moindre parcelle de chair dans son corps allongé, dilaté, augmenté, profite de ce flux. Elle est un univers en expansion. Elle exulte et crie un son rauque cette fois, qui grince comme un mât que le vent malmène. Balancée, bercée, roulée, elle flotte maintenant au loin, seule sur l’océan. Elle a répondu à l’injonction surgie de l’écume et ne regrette rien. Elle a laissé l’eau la pénétrer, l’envahir, l’irriguer, l’inonder. Sa confiance dépasse toute raison. Son buste se dresse hors de la vague, telle une proue sans navire. Elle inspire. Goûte les vents. Au-dessus d’elle, le ciel l’étreint dans sa monotonie grise. Elle aperçoit les oiseaux. Sous elle, dans les profondeurs de l’eau, ça oscille, ça palpite, ça frémit, ça frissonne, ça tremble et ça bat. Et c’est là, sucée par les courants, qu’elle sombre dans les flots, dans le silence des abysses. Aucune peur, aucun danger. Un dernier bond la propulse hors de la houle. Dans leur vol circulaire, les oiseaux l’espèrent.

Image © Marc GuerraDes poissons et des femmes, ≠6

Nous poursuivons notre voyage dans l’univers  Des poissons et des femmes entamé le 4 janvier et pour une année entière : sur une image de Marc Guerra, j’écris un texte et publie le tout chaque vendredi… jour du poisson !

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