L’île des larmes

« De 1892 à 1924, près de seize millions de personnes passeront par Ellis Island, à raison de cinq à dix mille par jour. La plupart n’y séjourneront que quelques heures, deux à trois pour cent seulement seront refoulés. »

Ellis Island, l’île des larmes, l’île par laquelle passaient tous les immigrants, futurs émigrants vers l’Amérique. Perec y est allé, pour la première fois, avec Robert Bober à la demande de l’INA en 1978 pour effectuer le tournage d’un film qui s’intitulera « Récits d’Ellis Island, Histoire d’errance et d’espoir. » Mais ce qui était vrai pour Bober ne l’était pas pour Perec. Celui-ci venait non pas pour retrouver des « repères, des racines ou des traces » qu’on ne lui avait jamais apprises, mais pour s’approprier « ce lieu-dépotoir où des fonctionnaires harassés baptisaient des Américains à la pelle » car ce qu’il était venu questionner ici, c’était « l’errance, la dispersion, la diaspora (…) le lieu même de l’exil, c’est-à-dire, le lieu de l’absence de lieu, le non-lieu, le nulle part ».

« Je n’ai pas le sentiment d’avoir oublié, écrivait Perec, mais celui de n’avoir jamais pu apprendre (…) »

« ne pas dire seulement : seize millions d’émigrants sont passés en trente ans par Ellis Island
mais tenter de se représenter
ce que furent ces seize millions d’histoires individuelles,
ces seize millions d’histoires identiques et différentes de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants chassés de leur terre natale par la famine ou la misère, l’oppression politique, raciale ou religieuse,
et quittant tout, leur village, leur famille, leurs amis, mettant des mois et des années à rassembler l’argent nécessaire au voyage,
et se retrouvant ici, dans une salle si vaste que jamais ils n’avaient osé imaginer qu’il pût y en avoir quelque part d’aussi grande,
alignés en rang par quatre,
attendant leur tour


il ne s’agit pas de s’apitoyer mais de comprendre
(…)
ils avaient renoncé à leur passé et à leur histoire,
ils avaient tout abandonné pour tenter de venir vivre ici une vie qu’on ne leur avait pas donné le droit de vivre dans leur pays natal
et ils étaient désormais en face de l’inexorable
ce que nous voyons aujourd’hui est une accumulation informe, vestige de transformations, de démolitions, de restaurations successives

(…)
pourquoi racontons-nous ces histoires ?

que sommes-nous venus chercher ici ?

que sommes-nous venus demander ? »

(les questions que je me pose à propos de ce que je tente d’écrire depuis des années… et qui finira par dormir au fond d’un disque dur…)

MS

à chacun sa rue Vilin

J’ai tardé à écrire cette proposition suggérée par François Bon dans son atelier d’hiver : outre le fait que je n’avais plus d’ordinateur, je n’avais surtout pas « ma » rue Vilin !  Elle était loin d’ici dans le temps, quelque part à la fin des années 70, en 1975 précisément. Je l’ai retrouvée lors d’un court séjour à Paris, tout récemment, et ce fut un morceau du boulevard du Montparnasse.Tout cela pour arriver au bar de La Marine…

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Un trop vieux souvenir
Rue du Cherche-Midi ? Rue de Vaugirard ? Boulevard du Montparnasse la Tour les magasins leurs galeries (un toit, où ? Nous nous y allongeons et je te raconte ma vie courte et bousculée déjà. Il y avait un ciel semé d’étoiles blanches, j’avais posé ma tête sur ton torse, je n’avais pas dix-huit ans). Chez Bébert dans un angle de la place des voitures des piétons de la vie en masse. (J’arrivais de ma campagne. Je voyais ici autant de monde qu’en six mois là-bas.) Le boulevard du Montparnasse le long duquel tu avais garé ta voiture à la parisienne, une Fiat immatriculée 3516RA91. Quelque part sur le boulevard, une pizzeria, (je me souviens de la pizza Pino mais ce n’était pas celle que l’on trouve aujourd’hui sur ce même boulevard si près de la place Montparnasse, en tout cas celle-ci ne m’évoque rien). Le bar de La Marine à l’enseigne rouge (des fauteuils et des banquettes de Skaï rouge dans mon souvenir) avec une ancre bleue et blanche (l’ai-je rêvée ?). Un mois de septembre clément.

Janvier 2017
Boulevard du Montparnasse au départ de l’angle qu’il fait avec la rue de Vaugirard, de ce côté qui mène vers le Port Royal, le café restaurant La Marquise et sa terrasse ouverte avec ses deux palmiers. Service continu 7 h – 20 h en lettres blanches sur une bâche rouge vermillon. Ninasushi, blanc sur noir. Fermé. La Parizienne Hôtel, à l’entrée noire et grise. La coiffure à petits prix, 22 à 52 €, shampoing brushing à 10 € inscrit dans un macaron rose collé sur la vitrine. Au n° 35 un homme s’apprête à poignarder un lion, le bras droit dressé au-dessus de la tête, gravure dans la pierre qui surmonte le porche et le portail en fer forgé orné de rosaces, noir tout entier, mais aux poignées dorées. Une boutique d’antiquités, bijoux-brocante, à la devanture rouge, solde ses prix en rouge dans un immense placard jaune vif qui couvre le tiers de la vitrine. Au théâtre du Palais Royal, on joue Edmond, la nouvelle création d’Alexis Michalik. L’affiche collée sur la porte d’entrée représente un homme de profil sur fond bleu, un nez de caoutchouc attaché par une ficelle autour du crâne. Dans la vitrine, un lévrier de bronze sur un socle de marbre se solde 350 €. Au Stock Montparnasse, mercerie, on vend des boutons pression, des boucles de ceinture, du fil à broder, des aiguilles à tricoter, des bonnets et des pulls marins. À côté, l’hôtel trois étoiles Best western Le Montparnasse a son accueil sur le boulevard et l’homme en vitrine derrière le comptoir ouvre et referme le cahier des réservations. La maison du croque-monsieur est à céder 06 26 26 21 67. Derrière la vitrine désertée, sur une table haute, une branche de conifère remplit un petit pot de métal blanc. Un caoutchouc orne l’angle du resto et celui du n°39, séparé par une paroi de verre et de métal. Au 39, deux cornes d’abondance taillées dans la pierre encadrent un blason vierge. On monte trois escaliers jusqu’au portail de fer forgé. Un homme sac au dos, une boîte d’œufs dans une main, un paquet de mouchoirs dans l’autre tape le code et franchit la porte après l’avoir poussée du pied. Trois grands bacs de bois supportent des sapins et séparent le 39 du Bistrot du sud-ouest, à céder. Sur les marches en tôle galvanisée, une bouteille de champagne côtoie la Cuvée du Patron. Les deux sont vides. En ce samedi le Grand Optical solde à 50 % dans un espace quasi vide où les vitrines de lunettes se font face de part et d’autre d’une grande allée centrale. Casden banque populaire. Un Vespa recouvert d’une bâche noire stationne devant la vitrine. Au 43-45, la porte vitrée d’un jaune pisseux ouvre sur quarante-quatre appartements et deux cabinets d’avocats. Un petit resto miteux propose des pizzas à emporter. Au 47, une double porte à battants bleu canard et aux vitres grillagées épaule un pas de porte à vendre. Restaurant japonais Tokugawa, à la porte peinte en gris. Passe devant la vitrine noire un homme aux cheveux blancs. Un tricycle stationne sur le trottoir. Au 51… Le 51 au store écru sali, et devant, l’arrêt de bus « Place du 14 juin 1945 ». Tête à tête, un restaurant asiatique au 53. Sur la façade de l’immeuble de cinq étages, aux balcons de fer forgé, le nombre s’affiche en blanc dans un rectangle d’émail bleu au-dessus d’une entrée notariale au fronton orné d’un cordon de pierre. A droite, le Bistro Burger tout de gris souris, assorti au temps et à la pluie, puis une crêperie aux lettres dorées sur un fond bleu roi. Au 55 un porche s’élève jusqu’au premier étage. Ici il est interdit de stationner mais une voiture blanche stationne. A droite, Djerba, un café aux tables dressées dehors sous la pluie, aux chaises en plastique tressé, marron, sales. G 20, un petit supermarché. La Pizza Pino. Une agence de Caisse d’épargne, vieillotte, un portique bleu anglais. Le café 1900. Un hôtel trois étoiles, Terminus Montparnasse coincé entre le café et le bar de La Marine.
Marlen Sauvage

Quatrième atelier d’écriture mené par François Bon, hiver 2016.

 

Sousse, impressions et textes d’étudiants

Village francophone Junior, Sousse (Tunisie), septembre 2014

Cette année, le Village comptait une centaine d’étudiants répartis en 7 groupes, chacun accompagné d’un étudiant nantais, la région Pays de la Loire étant partie prenante du projet. Trois universités tunisiennes étaient représentées, celles de Gafsa, Kairouan et Tozeur. Parmi les intervenants, 1 Tunisien, 6 Français (ateliers : théâtre, estime de soi, chansons françaises, histoire de l’art, jeux de rôle, mode et image, écriture). Le Village avait investi le CREFOC de Sousse et c’est par 40 °C que nous avons démarré les ateliers ce lundi 22 septembre, pour ma part dans un enthousiasme empreint d’inquiétude.

Car c’est toujours le cœur battant que j’entame mon premier atelier auprès des étudiants (Licence 2 et 3, Master 1 de français), volontaires pour ce Village, sélectionnés aussi cette année selon leur résultats… Dans ces premiers instants de la rencontre, il faut installer une relation de  confiance, expliquer les enjeux d’un atelier d’écriture et de ses propositions, et bien sûr donner envie d’écrire, puis inciter à lire… Les ateliers durent 2 heures, et nous ne voyons les étudiants que deux fois ! D’après ce que m’ont dit les étudiants, au cours de leurs études, ils ne pratiquent le français que sous la forme écrite et, alors que le professeur les interroge en français, ils lui répondent en… tunisien ! En atelier d’écriture, s’il s’agit d’écrire, il s’agit aussi de lire et d’argumenter son texte… en français donc.

Cette année, les choses ont été un peu compliquées par la présence de professeurs de faculté tunisiens venus participer ou assister aux ateliers. Leurs attentes étaient celles de découvreurs d’une activité encore peu, voire pas, pratiquée en Tunisie… Ce qui est compréhensible et valorisant bien sûr. Mais comme il est difficile alors de dire pourquoi cette présence peut gripper dès le départ une relation qui n’existe encore pas ! Enfin, j’ai finalement intégré cette nouvelle dimension (par rapport à l’an dernier où la question ne s’était pas posée) et inclus dans l’atelier les profs au même titre que les étudiants. Non sans prévenir les jeunes de cette nouveauté par rapport à mes habitudes… Je dois dire que les échanges avec les professeurs à l’issue de cette expérience ont été d’une richesse étonnante et que je n’ai qu’une envie : animer pour eux des ateliers d’écriture !

J’ai essayé de varier au maximum les propositions d’écriture pour chaque groupe. Le groupe 7 par lequel je commence ici, comptait 14 participants, ainsi qu’une étudiante nantaise et une accompagnatrice tunisienne qui n’était pas représentante de l’Education nationale. Un grand groupe, donc, majoritairement féminin, 4 gars, 12 filles !

J’ai commencé pour eux avec une proposition que j’emprunte à Hubert Haddad et qui est celle de la feuille de mots. Ici et maintenant, quels verbes, substantifs, adjectifs, adverbes, locutions, pourraient exprimer votre présence au monde ? La proposition (dans l’idéal) exclut toute narration, mais enfin dans le cas contraire, j’accueille les textes, évidemment. Sept étudiants ont accepté de lire leur feuille de mots où se bousculaient « concentration, fatigue, ambition, contentement, joie, hésitation, fierté, liberté, espoir, écriture, nostalgie, solitude, politesse, bruit, concurrence, réfléchir, respirer, parler, hésiter… ».

Je découvrirai à travers cette prise de contact qu’est la feuille de mots combien les filles sont attachées à leur maman, combien nombreuses étaient celles qui n’avaient jamais quitté la maison, combien la nostalgie est un sentiment que tous les étudiants partagent, le sceau de leur identité. J’apprendrai par l’accompagnatrice tunisienne que le « par cœur » est privilégié dans les études, que la poésie se déclame mains dans le dos, menton baissé…

La proposition suivante portait sur Perec et un inventaire de souvenirs. Ce sont ces textes que je publie ici, dans le désordre, tels qu’ils me sont parvenus. Perec, inconnu des étudiants tunisiens… Je prends toujours le temps de partager les auteurs que j’aime, de raconter leur parcours en quelques mots. Pour désacraliser leur écriture et en l’occurrence ici, souligner l’importance de partir de soi pour écrire cette proposition (voir la fin du texte de Caroline).

Je me souviens de l’attente avant d’être acceptée dans ce village
Je me souviens de ma grande joie d’être acceptée
Je me souviens des derniers jours de préparation avant d’y venir
Je me souviens de la grande ambiance vécue avec tous mes amis au cours de ce voyage vers Sousse
Je me souviens de la première nuit que j’ai passée avec mes collègues dans ce foyer, c’était vraiment une nuit exceptionnelle
Je me souviens de la première réunion dans la grande salle
Je me souviens de la séance de théâtre
Je me souviens du grand tour que j’ai fait hier avec ma professeur Hajer G. et mes camarades pour arriver à la Maison des Jeunes.
Asma

Je me souviens de la Révolution tunisienne le 14 janvier 2011 et de ses victimes
Je me souviens de ma réussite au baccalauréat et surtout de la joie de ma famille à cette occasion
Je me souviens de la naissance de mon cousin Mohamed Iyed
Je me souviens que j’ai beaucoup joué dans mon enfance au jeu de cache-cache
Je me souviens quand j’avais six ans et que j’ai commencé mes études à l’école mansoura
Sameh

Je me souviens quand mon grand-père est mort
Je me souviens que j’étais absent aux cours
Je me souviens de mon admission au baccalauréat
Je me souviens du premier jour à la faculté
Je me souviens que mon oncle est mort
Je me souviens du premier jour de la révolution
Je me souviens des conflits qui se déroulaient pendant la révolution
Je me souviens de l’assassinat d’hommes politiques
Je me souviens de la mort des martyres de la révolution
Imed

Je me souviens que je regardais toujours les dessins animés
Je me souviens que ma mère ne m’accompagnait plus à l’école
Je me souviens d’une robe rouge que mon père m’avait achetée
Je me souviens des histoires que ma grand-mère me racontait
Khawla

Je me souviens quand mon grand-père est mort il y a quatre ans
Je me souviens que Baudelaire est un poète très célèbre
Je me souviens que lorsque j’étais enfant, je ne pensais à rien, je jouais tout le temps
Je me souviens que mon camarade était un garçon très curieux
Je me souviens que ma mère nous disait toujours : « Soyez tolérant, soyez sérieux et tranquille pour réussir dans la vie. »
Je me souviens que la Révolution française a changé plusieurs choses en France
Je me souviens que la Deuxième Guerre mondiale a été achevée en 1945
Je me souviens de la révolution tunisienne qui a été déclenchée le 14 janvier 2011
Arafat

Je me souviens de m’être promenée dans ce quartier
Je me souviens que mon frère est entré dans une école de langues
Je me souviens que j’ai lu une œuvre de Balzac
Je me souviens que la sœur de mon ami est morte noyée
Je me souviens que Louis XIV est le Roi Soleil
Ines

Je me souviens de mon enfance
Je me souviens de mon premier jour à l’école
Je me souviens de mes compagnons de lycée
Je me souviens que tout allait bien
Je me souviens de mes premiers jours à l’Institut qui étaient difficiles
Je me souviens de mon premier match avec mon équipe
Je me souviens de mon cousin
Wajdi

Je me souviens des jours passés avec mes amis au collège
Je me souviens des moments magiques passés avec eux
Je me souviens de ma première rencontre avec mon amie intime
Je me souviens de la fierté de ma mère que j’ai vue dans ses yeux quand j’ai réussi
Je me souviens de la mort de mon grand-père
Je me souviens des histoires que ma grand-mère me racontait toujours
Manel

Je me souviens du premier jour où je suis rentré seul de l’école
Je me souviens de la trahison de mes amis
Je me souviens du plus beau moment passé avec ma famille dans un village tunisien
Je me souviens du plus beau moment passé avec mon amie intime
Je me souviens du premier jour de la rentrée universitaire
Je me souviens du jour de la date de la révolution tunisienne : le 14 janvier 2011
Takwa

Je me souviens toujours d’un coucher de soleil.
Je me souviens des premiers jours au collège.
Je me souviens de la mort de mon grand-père.
Je me souviens de la première rencontre avec une belle fille.
Je me souviens de la mort de mon chien.
Je me souviens de la naissance de ma sœur.
Je me souviens des morts de Palestine.
Je me souviens des photos avec Monsieur Michel Dousset.
Je me souviens des premiers jours à l’université.
Je me souviens que mon frère faisait beaucoup de combats contre d’autres garçons. Mais à chaque fois la police le prenait.
Je me souviens du film Titanic.
Je me souviens du premier jour où je suis monté à cheval.
Je me souviens d’attendre le coucher du soleil.
Wissem

Je me souviens de ma première rentrée scolaire
Je me souviens que mon grand-père est mort quand j’avais dix ans
Je me souviens de la fierté de mon père car j’étais toujours parmi les majeurs à l’école, même au collège
Je me souviens que j’ai vécu des moments très durs pendant mon enfance
Je me souviens du sacrifice de ma mère pour satisfaire nos souhaits
Je me souviens du mois de ramadhan de 2011
Je me souviens que j’ai passé des jours extraordinaires avec mes amies à Strasbourg
Je me souviens de la dégustation de fromages à la frontière suisse
Je me souviens que j’étais fière car j’étais au niveau C1 au Centre de linguistique appliquée à Besançon
Je me souviens du premier échec d’une relation amoureuse
Marwa 

Je me souviens du passage à l’an 2000
Je me souviens de la première fois que j’ai pris l’avion
Je me souviens de la naissance de mes petites sœurs
Je me souviens de Jacques Chirac
Je me souviens de mon arrivée à l’école maternelle
Je me souviens que Lance Armstrong gagnait toujours le Tour de France
Je me souviens de notre arrivée à Sousse
Je me souviens de la première fois que j’ai vu Alvaro
Je me souviens que mon grand-père se déguisait en Père Noël
Je me souviens de Fukushima et du World Trade Center
Je me souviens que Maman s’énervait lorsqu’elle ne pouvait pas passer l’aspirateur à cause de nos villages Playmobil sur le parquet
Je me souviens de mes arrière-grands-parents
Je me souviens de l’incendie dans le jardin des voisins et des camions de pompiers dans le mien
Je me souviens avoir fait exactement le même exercice lorsque j’étais en 3e et que depuis, j’ai lu des romans de Perec
Caroline, Nantes
(De l’utilité des ateliers d’écriture s’il était besoin de préciser… c’est moi qui souligne. MS)

Je me souviens des soirées autour de ma grand-mère paternelle qui nous racontait des contes de fée à la lumière des bougies ou des lampes à pétrole.
Je me souviens des départs déchirants après les vacances.
Je me souviens de la joie du retour à la maison, de l’eau qui coule, de la lumière qui jaillit.
Je me souviens de l’odeur d’un verre de lait bien frais.
Je me souviens de la prof d’anglais, à l’oral le jour du bac.
Je me souviens d’avoir été dans le train quand le premier homme, Armstrong, a mis le pied sur la lune.
Je me souviens du 14 janvier 2011, de mai 68 et du 23 octobre 2011.
Je me souviens de ma mère qui nous disait « Je veux que vous soyez comme eux, que vous viviez comme eux et que vous soyez mieux qu’eux. »
Assia

Je me souviens de mon enfance, toujours, pour me remémorer les beaux jours
Je me souviens que j’étais jalouse de mon petit frère
Je me souviens du premier jour où j’ai commencé à marcher
Je me souviens de ma méchanceté, quand je frappais les autres enfants et les bébés
Je me souviens des cadeaux gagnés [prix obtenus] pendant mes études
Je me souviens de mon premier jour à l’école où je m’étais enfuie
Je me souviens de ma participation à plusieurs festivals
Je me souviens d’une excursion où je m’étais perdue dans la montagne
Je me souviens de la première descente de dromadaire
Je me souviens des jours de collège et de lycée
Je me souviens je me souviens
Je garderai le souvenir de cette semaine passée avec vous au Village francophone Junior à Sousse en 2014
Synda

D’autres textes d’autres groupes seront publiés ici. Je remercie tous les étudiants qui ont bien voulu me les confier.

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Après le Festival Nature et les balades écriture…

Je commence à recevoir les textes des participants à mes ateliers, stages et balades. Voici déjà ceux de Bertrand Bahuet.

Sur le thème des murs, avec pour support les réflexions d’un architecte des bâtiments de France, Michel Verrot dans Pierre sur Pierre, publié par le Parc national des Cévennes ; un ouvrage de Claude Quetel Murs. Une autre histoire des hommes ; Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs, de Marshall Rosenberg, La vie à deux, de Dorothy Parker, Le mur invisible, de Marlen Haushofer.

Ce matin, en descendant le chemin qui nous menait à la voiture, trois hommes creusaient les fondations d’un mur de soutènement dudit chemin, effondré.
Ils répondirent à notre salut, et parlaient entre eux semble-t-il, une langue étrange.
C’était quasiment dans le jardin de la maison du curé, fermée en contrebas. Le curé ne vient plus, je ne le connais pas, et ne le connaîtrai probablement jamais. Il appartient aux mots des gens du hameau, à leur souvenir, ils en parlent et je le vois, et l’imagine. Il a disparu, il est mort et vit peut-être au-delà des collines, dans une ville où déambulent des gens automatiques, le regard fixe, le souffle inexistant.
Mais cette image me fait froid dans le dos, je préfère l’imaginer cueillant des framboises, figé dans son geste, photo vieillissante dans un album emprunté. Le mur s’est effondré et les pierres ont été recueillies une à une, pour être entreposées dans un lieu où elles n’encombrent pas. Avant de redevenir des fondations. Des pierres domestiques, obéissantes et utiles, réassemblées par une logique humaine, détournées de leur chemin naturel. Tout comme le curé à l’image vieillissante, détourné de son absence, dérouté de sa vraie vie par mon imagination avide.

Tu es pierre et sur toi tout s’effondre, la route, le chemin, le curé, les framboises, et je bâtirai sur toi la ruine, l’absence, l’étranger, l’oubli qui peu à peu envahit ton âme et la pensée d’une pierre, minérale, figée fixe et vivante, de cette vie muette qui étreint tes molécules vides, vibrantes, inexistantes, présentes par certitude puisque le hasard est étrange, étranger invité par l’implacable réalité, dure comme la pierre pleine de vie, source minérale aux racines imaginées par de grands singes réfléchissants.

Tisser la mémoire, à partir de Lamentations des ténèbres, de Jean-Paul Goux

Que fallait-il faire dans cette église en ruine pour que tout le monde soit content ? Redresser les autels qui semblaient un effondrement de sable au milieu d’une grotte couverte de mousses vertes et noires, sonder les murs qui sonnaient creux, vidés de leur matière forte délavés par les pluies torrentielles d’un siècle de vent, de soleil, de moiteur et d’oubli, la trace humaine effacée, évanouie, le sens premier qui avait motivé des hommes au point de vouloir ouvrir une porte sur un paradis, réduit à néant. Le paradis des pauvres comme l’apparence du marbre, les formes courbées pour épouser le regard du petit être qui par misère était courbé devant tous, devant tout, et ici, enfin honoré par un pastiche de rêve.
Mensonge, mépris, duperie des puissants qui captent et manipulent la foule des égarés, des écrasés.
Alors sous les ors et les pigments, la chaux aérienne et le sable de Loire, importé à grand prix loin de son lit, les fentes se réduisaient, les poches se remplissaient de poudre volcanique pour faire prise sans oxygène. Les modénatures* réinventées se recouvraient de faux marbres et la question était, pour qui, pour quoi faire, enrichir des vanités, conforter des clans politiques, gagner de l’argent ?
Dans ce lieu magnifique, en cet instant enrichi de convoitises, de motivations serviles, le sens premier vomi, le paradis des pauvres anéanti, j’ai nettoyé mes outils, donné mon échelle au maçon, et je suis parti abandonnant tout, la gloire, l’argent et les honneurs pour rejoindre le paradis des pauvres, et l’oubli.

*Profil des moulures.

Et enfin, sur une dernière proposition d’écriture, à propos de la fuite, de la tangente, de l’échappée belle (en correspondance avec un « héros » local, Alfred Roux, insoumis, qui refusa de partir à la guerre de 14 et se cacha dans nos vallées jusqu’en 1917. Avec pour référence Du paysage et des temps, de Pierre Laurence (publication du PnC) ; Roux le bandit, de André Chamson ; L’emploi du temps (film), de Laurent Cantet ; L’adversaire, de Emmanuel Carrère, Si par une nuit d’hiver, de Italo Calvino ; Un homme qui dort, de Perec et La modification, de Butor.

Qui respire ? J’entends le souffle de l’air qui chuinte à côté de moi, tu dors ? respireur solitaire ? non il n’y a rien, personne, qui fait ce bruit de vie, à côté de moi ?
Il marche, j’entends ses pas qui claquent sur le chemin de terre, et de pierraille. Mais je ne le vois pas, son ombre peut-être ? c’est la mienne, je bouge un bras, elle bouge aussi.
Qui es-tu voisin qui fais comme moi, et ne me déranges pas ? Je n’ai pas peur, je pourrais t’en vouloir, c’est agaçant, intime, c’est ma vie et c’est toi qui marche, qui me marche et respire, me respire et je t’entends. Demain dans mes rêves, tu seras dans mes rêves celui qui m’entend et m’écoute, et me dis : à tout à l’heure, je t’attends, il faudrait démonter la machine, n’oublie pas les clous et la dentelle, le temps presse. Mais non, je dors, pourquoi encore me dire des choses bêtes moi qui ai si besoin de systèmes pratiques ouvre-moi ton rêve et reviens, je dois trouver une quête et aller quelque part, mais tu erres et ne me proposes que des choses folles qui rendent heureux et léger, et je veux du lourd, du pesant, du présent comestible et indigeste, car je dois souffrir pour me détacher de toi, et penser pour t’oublier et fuir pour t’égarer, mais rien, voilà ta réponse, tu respires et puis rien, léger et incoupable, incapable d’avoir mal et de me fuir du bonheur.
Car je pense que les autres sont une part insaisissable de moi, et m’apportent une réponse que je n’entends pas.

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Voilà. Je redis ici combien je suis riche de toutes ces rencontres en atelier, de l’écriture des autres, de la découverte de leur univers. N’hésitez pas à « aimer »(bouton J’aime) ces textes, ou d’autres, j’envisage de publier dans un recueil ceux qui dans ce blog auront été plébiscités (+ ceux que j’aime de toutes façons !). Merci. Marlen

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A quoi rêvons-nous la nuit ?

Nous rêvons tous, même si nous ne souvenons pas de nos rêves. C’est un peu comme si notre cerveau dressait une frontière mentale entre nous et les événements qui nous déstabilisent, nous dérangent, nous font peur. Ecrire le rêve, c’est tenter de se rendre à cette frontière qui nous échappe un peu. On pouvait inventorier la liste des rêves récurrents, collecter des fragments de rêve, ou écrire à partir de quelques éléments matériels et des sensations. Le titre de cette proposition fait écho à la pièce de théâtre que j’avais vue en 1998, jouée par la troupe d’Olivier Besson, un merveilleux souvenir ! Il y a une très vieille affinité du rêve et de la littérature. On pouvait faire appel à Perec, Baudelaire, Nerval, Kafka, Breton, et j’en passe.

Les textes de Chrystel C :

« J’ai une dent qui bouge. Aïe ! Qu’est-ce qui se passe dans ma bouche ? L’angoisse commence à monter. La dent se détache et tombe. Je l’attrape entre mes doigts pour ne pas m’étouffer avec. Une deuxième dent, puis une troisième. L’horreur !! Ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar. Je me réveille haletante.
Ça tombe, un sentiment de chute sans fin. Un sentiment de perte inéluctable. Plus rien ne tient, plus rien ne tient en place. Sans dent, à quoi vais-je ressembler ? Je ne pourrai plus sourire, plus séduire, plus manger, plus parler. Mais tais-toi ! Tais-toi donc ! Puisque je te dis que tu parles trop !!
Je savais bien que j’aurais dû me taire. Me taire pour toujours. Parler, c’est perdre. Perdre les mots. Une fois qu’ils sont sortis, tu ne peux plus les rattraper. Tu peux toujours essayer de leur courir après, tu ne les rattraperas jamais. Ils sont perdus, pour toujours !

Je n’arrive pas à parler, à articuler. J’ai du sang dans la bouche. Des bouts de verre remplissent ma bouche. Et plus j’en sors, plus il y en a.
Là aussi, je suis empêchée. Empêchée de parler. C’est dangereux ces mots-là, qui sortent ou bien non, plutôt, qui ne sortent pas, qui n’arrivent pas à sortir. Ça fait mal de les sortir, ou bien de les retenir. Ca coupe, ça tranche, ça écorche. Ne les avale pas, sors-les quand même ! C’est toujours mieux que de se taire même si tu y perds. Perds ? Père ?…

Oui, une dent perdue, ça laisse un trou, un vide. Un trou dans la bouche, un trou noir.
Tu pourras toujours passer ta langue dessus pour sentir le creux, combler le vide… jusqu’à ce qu’avec le temps, le trou se bouche, se cicatrise. Une légère trace dans la bouche, une légère boursouflure. Une trace de la perte, une trace quand même. Toujours là, mais qui ne fait plus mal.
Attention, il s’agit de dents définitives !! Elles ne repousseront pas. Quand c’est perdu, c’est perdu ! Et puis, de toute façon, en vieillissant, tu finiras bien par toutes les perdre. Elles vont toutes tomber, de vieillesse, t’abandonner. Alors tu n’auras plus rien. Que des trous, des vides. DE-FI-NI-TI-VES.
Mes dents, elles ont dû trop subir trop de choses jusqu’à présent pour avoir laissé autant de traces, de tracas, d’angoisses. Mes dents, ma bouche et ce qu’il y a de-dans.
Enfant, j’avais demandé un jour à mon père combien il en avait lui de « dents de lait » faisant rire ainsi toute l’assemblée. Humiliée. Dents de lait, dents définitives, de l’enfance à l’âge adulte, du possible au définitif, au figé, à l’inéluctable. Où l’on ne revient pas en arrière, où ça ne repousse pas, où ce qui est perdu l’est pour toujours. »

« Je sais voler, je l’ai déjà fait. Je tente de prendre mon envol mais c’est laborieux. Je décolle du sol puis redescends. Je n’arrive pas à prendre de l’altitude ni de la vitesse. C’est extrêmement frustrant. J’y arrivais bien pourtant avant. »

« Je suis dans ma voiture et je freine mais elle ne m’obéit plus. Je ne maîtrise plus rien. »