Ateliers de campagne (9)

marlen-sauvage-Cevennes

Septembre rejoue sa rentrée chaque année pour elle aussi qui anime des ateliers d’écriture. Elle aime se présenter comme une « animatrice de campagne », comme il y avait dans son enfance des « médecins de campagne ». Elle a fouiné dans les magasins pour acheter des cahiers aux couleurs gaies. Elle en donnera un à chaque détenu qui participera à ses séances d’écriture. Le directeur de la maison d’arrêt a changé, il l’a écoutée avec attention. Elle ne veut pas « faire de l’occupationnel »… Il a entendu son credo, sa passion pour la parole des autres, il lui donne carte blanche. Il n’enverra personne assister aux ateliers en dehors des détenus. Elle ne livrera aucun texte.  A la porte d’entrée, elle doit se hisser sur la pointe des pieds pour atteindre l’interphone et décliner son identité. Elle recommence quelques minutes plus tard. On l’oublie. Non. Des gendarmes doivent sortir avec des prévenus, on lui demande de patienter encore. Enfin la porte s’ouvre, elle s’écarte, cinq jeunes hommes encadrés par des forces de l’ordre  passent devant elle les yeux baissés. Elle entre dans la cour entourée de hauts murs, grimpe l’escalier devant elle, enferme son sac à main dans une consigne extérieure, attend de nouveau l’ouverture de la porte, et passe sous le portique de détection. Le fonctionnaire lui sourit, il la connaît, elle vient depuis plusieurs mois. Elle récupère son sac à dos, laisse son passeport, et une troisième porte s’ouvre vers les bureaux administratifs. Chaque semaine elle fait le tour des agents, donne le bonjour au directeur et son adjoint, s’attarde parfois pour un petit café, prend la liste des participants au bureau du SPIP chez le greffier. Et c’est parti… Il y a foule ce matin. Deux « anciens » déjà là avant les vacances d’été, cinq nouveaux… Après les présentations où elle précise qu’elle ne veut rien savoir des raisons de leur enfermement, elle discute avec eux de leurs passions, la lecture souvent est mentionnée, l’écriture parfois.  Elle glisse la première proposition d’écriture comme une gourmandise à laquelle tout le monde a droit. Ça marche ! M’dame, je fais plein de fautes d’orthographe ! Et moi j’écris comme je parle, en phonétique… J’ai pas écrit d’puis l’école ! Tout va bien. Les rassurer. Sourire. L’un d’entre eux sort une cigarette et un briquet. Ah non ! C’est pas prévu au programme, En ouvrant la fenêtre, M’dame s’il vous plaît, je fumerai juste deux taffes, Non, ce sera la porte pour vous et moi, une heure et demie sans fumer, ça doit être possible, je suis certaine que c’est possible, Mais l’inspiration ne vient pas, C’est vrai, parfois qu’une cigarette ou un petit verre facilitent les choses, mais là malheureusement, nous sommes contraints de faire sans…  Il abdique, j’aurai essayé, ajoute-t-il en souriant.  A la lecture, certains trébuchent, des voix s’éteignent, elle décèle dans chaque fragment ce qui en fait l’unicité, et celui qui ne voulait pas lire lui tend son cahier. M’dame, vous êtes prof de français ? Eh non… Elle lit comme une déception dans leur regard interrogateur. La porte s’ouvre brutalement sur un surveillant grincheux qui fait remarquer que le temps est passé de cinq minutes. Elle s’excuse, salue chacun d’une poignée de main, et s’éloigne vers les portes de fer, cadenassées, qui se succèdent jusqu’à la sortie. Dehors, dès qu’elle a passé l’immense portail métallique, elle inspire profondément, regarde le ciel blanc, et chemine vers sa voiture garée dans la ruelle en contrebas. Tête vide, corps pressuré.

Je n’avais pas le souvenir de ce texte, retrouvé dans mes papiers. Ce devait être sans doute le premier de la série de mes Ateliers de campagne ! Il me fait dire que la prison et ses détenus m’ont happée plus que tout autre endroit ou public…

Texte et photo : Marlen Sauvage

(à suivre)
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Quand j’étais enfant il existait une série télévisée intitulée Médecin de campagne… Le médecin était une femme et la campagne alors ressemblait à celle où je vivais dans la Drôme. Depuis que je sillonne les Cévennes pour animer ici et là des ateliers d’écriture, je ressasse l’idée d’écrire une série de souvenirs « arrangés » (à ranger…) autour de ces allées et venues. Je précise que la temporalité n’est pas la bonne, c’est tout, et les prénoms bien sûr s’ils apparaissent, sont modifiés… Le contenu, lui, est mon vécu, il a seulement valeur de témoignage, rien d’autre. 

Marlen Sauvage

Ateliers de campagne (8)

marlen-sauvage-Mende

Entre les murs le temps cliquète et claquent les voix.
Il suffirait d’une clé parfois pour que frémissent les rayons de la reconnaissance,
mais l’humanité se tient, déesse rigide, très haut dans l’air confiné de la prison.
La nuit s’écaille laissant les phrases inachevées des hommes se fondre dans le bruit mat des portes.
Inlassablement pour eux, l’horloge indiquera l’heure de la sortie toujours refoulée comme avec les vagues les morceaux de ferraille des rafiots engloutis.
Quand leur regard ne perçoit plus rien dehors au-delà des corbeaux, abrutis,
ils s’installent parmi la bousculade laissant la lumière bleuir le maquis lointain
sous les coups de l’hiver.
La blancheur moite étouffe toute blessure ; ne subsistent plus que les souvenirs ancrés dans les chapelles obscures où ils prient sans même le savoir.
Pourtant l’espoir se dresse où chaque barreau s’invite, et s’ouvre le portail du temps à ces loups orgueilleux dont les yeux réfléchissent toutes nos cicatrices.

Entre les murs le temps cliquète et claquent les voix.

Au milieu de l’infini, une porte s’est ouverte.
Aux nuits succèderont les nuits, heureusement peuplées de phrases surgies des livres.
Et la lecture pénètre la brèche où est éclose la fêlure pâle de l’évasion, celle de l’écriture où se faufile le tissu de leur vie rédigée avec peine, parfois avec effroi, mêlant à leurs désirs nouveaux des rêves de futur.

Ainsi fuient-ils l’ennui et sèchent-ils leurs larmes de papier.
Désormais, ils ne baisseront plus les paupières.

Texte et photo : Marlen Sauvage

J’avais publié ce texte sur mon blog en 2011, intitulé « Les voix de la prison », écrit à l’époque où j’animais des ateliers à la prison de Mende, une prison pour hommes. Trois ans dans ces murs, chaque mercredi matin pendant une heure et demie. Que des souvenirs forts de cette expérience.

Ateliers de campagne (3)

marlen-sauvage-causse

“La prison, c’est un peu ma famille…” C’est ainsi que démarre l’entretien mené par l’un des détenus avec l’aumônier catholique de la maison d’arrêt de Mende. Et c’est l’aumônier qui parle ! Tous les jeudis après-midi depuis neuf ans, il ouvre l’aumônerie à un groupe de six ou huit, ou à des détenus seuls, en entretien individuel. La pièce ouvre sur une grande fenêtre… à barreaux, mais elle est lumineuse et les détenus s’y sentent bien. C’est ici que j’anime les ateliers d’écriture et que depuis quelques semaines, nous pratiquons l’écriture journalistique. Aujourd’hui, chacun relit son article, destiné au journal bimestriel que nous avons créé et auquel a été donné le titre de Celluloïd. La production poétique et romanesque des participants trouve sa place parmi les sujets concernant la vie de la prison, l’actualité, un dossier thématique, les recettes de cuisine… Je suis fière de ce travail avec eux… Car même les plus réfractaires à l’écriture pour des raisons toutes respectables, les plus hostiles au métier de journaliste, ont joué le jeu de la conférence de rédaction, du choix des sujets, de la répartition des rôles, pendant plusieurs ateliers. Je les ai vus prendre plaisir à préparer les entretiens, à rédiger les brèves, à agencer leur papier pour qu’il reflète une information objective, sans se perdre dans des considérations qui n’avaient pas leur place à cet endroit-là. Le journal se fabrique en équipe avec trois autres intervenants dans leurs ateliers respectifs, un illustrateur et une maquettiste, ainsi qu’un professeur des écoles. La direction de la prison et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) jouent le rôle de garants de la ligne éditoriale. Mais nous ne dépassons jamais les limites, bien que ce ne soit pas l’envie qui manque parfois aux détenus… L’atelier d’écriture est ici plus qu’ailleurs un atelier de parole : je les écoute chaque semaine pendant un quart d’heure avant de démarrer les propositions d’écriture. Nous alternons ainsi la parole, l’écriture journalistique et l’écriture romanesque… L’expérience du journal ne durera que quelques mois, faute de moyens.

Je franchirai les portes de métal durant trois ans chaque semaine, ne sachant jamais à l’avance qui serait là des détenus inscrits, accueillant d’une semaine sur l’autre un ou plusieurs nouveaux venus à intégrer dans l’atelier. Ce mardi, c’est jour faste : le groupe autour de la table rassemble une dizaine d’hommes. Parmi eux, un jeune inconnu de 28 ans, incarcéré pour 18 mois (c’est lui qui le raconte car je ne pose jamais aucune question quant à leur présence ici). Après les présentations et l’accueil, il refuse d’écrire à partir d’une suggestion ayant recours à la mémoire de l’enfance : trop de souvenirs difficiles. Il l’exprime avec violence, une violence qui transparaît dans le ton de sa voix, dans sa gestuelle alors que je viens de préciser que personne n’est obligé d’écrire. Je perçois toute sa frustration. Il ajoute alors pour préciser (mais je sens percer comme une menace) qu’il est d’un caractère violent. Je reste de marbre. Les autres ne bronchent pas non plus, ils m’observent. Dix paires d’yeux me fixent alors que je fixe le jeune assis en face de moi, face à la fenêtre. J’attends la suite ! Je suis à contre-jour pour lui. Ce qui me traverse l’esprit, c’est qu’il puisse mal interpréter les expressions de mon visage. Je me demande aussi très vite pourquoi il assiste aux ateliers. Pour bénéficier d’une réduction de son temps d’emprisonnement ?  Le jeune homme parle toujours, il s’énerve, je lui rappelle qu’il a le choix d’écrire ce qu’il veut en réponse ou non à la proposition et même de ne pas écrire du tout. Peut-être préfère-t-il retourner dans sa cellule ? Je peux appeler le surveillant qui le raccompagnera. Non. Il choisit de rester… « pour voir ». Après son intervention, chacun s’est penché sur son cahier, dans le calme. Et après un temps d’observation je le surprends à écrire lui aussi. Quand vient son tour de lire son texte, c’est une suite de questions qui toutes portent en creux leur réponse. Les regards fusent vers lui, dans une attention soutenue à ce qui vient de s’exprimer. Il finit par confier que se souvenant de la promesse de sa mère de ne jamais venir le voir en prison (il avait douze ans à l’époque !), il a refusé de l’accueillir lorsqu’elle s’est présentée durant la semaine précédente. Autour de la table, tout le monde semble comprendre son malaise, sa souffrance, son chagrin. Il y a des visages qui acquiescent, d’autres qui plongent vers leur feuille, mais l’émotion est palpable. Je n’ai pas grand chose d’autre à dire à ce moment-là que le remercier de partager son désarroi aussi simplement et d’avoir réussi à l’écrire par un long questionnement. J’ajoute que tout cela reste entre nous. Jusqu’à la fin de notre discussion, le groupe s’est montré attentif et personne n’est intervenu. Au cours de l’atelier, le jeune écrit la proposition suivante sans discuter…

Je vivrai durant ces trois ans de nombreuses situations comme celle-ci. Une fois seulement je serai aux prises avec un homme réellement violent que des détenus maintiendront spontanément en place. Ici plus qu’ailleurs, l’atelier requiert une attention aiguë aux moindres gestes du groupe, aux expressions de visage, au ton de la voix, et une écoute entre les lignes, souvent, de ce qui s’écrit dans une grande sincérité… Il est 11h30. Je repars comme à chaque fois secouée après cette heure et demie derrière les barreaux. Une fois la porte de l’aumônerie ouverte par le surveillant de service ce matin-là dans un bruit de clé qui ne s’oublie pas, une fois les nombreuses autres portes activées à distance passées dans un grincement métallique, et le portique de contrôle, et la dernière, immense, qui ouvre sur la liberté, j’expire toute ma tension. Je redescends vers le centre-ville – la prison est située sur les hauteurs – puis je roule vers Marvejols, à une vingtaine de minutes de là, pour l’atelier de l’après-midi prévu à l’école de travail éducatif et social.

(à suivre)
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Quand j’étais enfant il existait une série télévisée intitulée Médecin de campagne… Le médecin était une femme et la campagne alors ressemblait à celle où je vivais dans la Drôme. Depuis que je sillonne les Cévennes pour animer ici et là des ateliers d’écriture, je ressasse l’idée d’écrire une série de souvenirs arrangés autour de ces allées et venues. Tout sera donc vrai  en grande partie, et faux dans les mêmes proportions.

Texte et photo : Marlen Sauvage
(Photo : Le causse entre Florac et Mende à la tombée du soir)

Mot doux [Uckas, 51]

les-ateliers-du-deluge13

Ce petit mot dans mon carnet à spirale me remplit toujours d’émotion. Il m’avait été remis par un détenu lors d’un atelier, de la part de Mathéo (son prénom de l’atelier). Je crois ne plus avoir revu le jeune garçon qui prenait la peine de me prévenir de son absence avec cette sincérité touchante. Le manque de sommeil et les nuits étaient un sujet de discussion récurrent. Leurs nuits résonnaient de cauchemars, amplifiés par leur vie en cellule, la promiscuité, les brimades. Dormir était une fuite parfois, dormir était toujours un cauchemar.

Texte et image sous licence Creative Commons
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Le carnet rouge à spirale [≠ 5]

Atelier maison d’arrêt du 21 septembre
Un nouveau en atelier, 28 ans, incarcéré pour 18 mois, rebelle et violent. Ne veut pas écrire à partir de la suggestion sur la mémoire de l’enfance « parce que trop de souvenirs difficiles ». Veut écrire un poème. En fait une suite de questions qui portent en creux leur réponse. Finit par confier pendant l’atelier une partie de sa souffrance : la promesse que lui avait faite sa mère quand il avait douze ans de ne jamais venir le voir en prison. Elle a récemment voulu venir, il a refusé de la voir. Mais il a écrit à la suggestion suivante, aussi.

29 novembre 2010, à Mende. Hôtel Urbain V. Chambre 404. De retour de l’atelier d’écriture à Florac, terminé à 21 h, me voilà à 22 h enfin ici ! Température hivernale, jusqu’à moins 11 °C sur la route. Un renard et un chevreuil installés tranquillement sur la chaussée quelque part dans la grimpette. Surprise nocturne qui réconcilie avec cette nature rude, avec les raideurs dans le cou, que l’on supporte avec le sourire, du coup.

Le 30 novembre, à 22 h 30, se termine Le baiser, ce film si surprenant dans son thème, dans son traitement, si « pur », si intense, que l’on adhère à tous les personnages. Et j’ai voulu à 22h20 en parler avec X qui me l’avait conseillé et qui ne répond pas… C’est drôle comme je suis « désappointée » comme disent les Anglais, au fond de moi, de ce « ratage », car je sais bien qu’il y a seize ans, il n’aurait pas été. Nous aurions été, il y a seize ans, Judith et Nicolas, la femme de Claudio et cet homme de passage dans sa vie. C’est ainsi. Les passions ont une fin, les amours amitiés aussi…

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Radio Bartas, des femmes pirates et des prisons

Une émission intitulée Femmes Pirates, conçue et réalisée par Laurène Kaminsky avec l’équipe de Radio Bartas, à Florac (48).

Il y est question des ateliers créatifs en prison, avec un témoignage sur des ateliers d’art plastique dans une prison de femmes, et les ateliers d’écriture que j’ai menés à la maison d’arrêt de Mende, avec des hommes. Le lien est ici :

http://www.radiobartas.net/listings/femmes-pirates-n4/

Paroles captives, extraits

Derrière les barreaux, ils écrivent… des salades de vers, des moments immobiles, des rêves qui traversent leur pensée cloîtrée, leur vie de détenu, quoi. Ce qui suit est publié avec l’accord des détenus rencontrés ces trois dernières années. Les signatures sont fictives. 

Je vous parle de la pêche car je suis un fils de pêcheur et que j’ai du sel qui coule dans les veines.
Le pêcheur

Le galet
Je suis à Menton, sur la plage aux chiens. Il y a longtemps que je suis là, des milliers d’années. D’ailleurs, je suis tout arrondi. Je n’ai pas dit tout rond. Car je ne suis pas rond, vous ai-je dit déjà que je n’aime pas la perfection ? C. est venu me voir, me toucher de ses pieds. C’est normal, il habite boulevard du Garavan, je crois. Garavan, c’est le nom de ce quartier près d’un poste frontière qu’on a vu dans Le Corniaud, avec Bourvil et de Funès. Je me sens bien là où je suis. Je suis existence. Existence, non pas action. Je suis paresseux. Un paresseux c’est quelqu’un qui activement ne fait rien. Enfin dans mon cas je contemple, comme Diogène dans son tonneau qui disait « ôte-toi de mon soleil que je puisse contempler ! ». C’est un boulot de contempler ! Mais non, je suis, tout simplement. Il paraît que c’est le printemps, les badauds reviennent fouler la plage. Je ne le ressens pas beaucoup le printemps, moi je suis minéral. Oui, c’est ça, minéral. La plus inerte des créations. Evidemment tous ces touristes excités me bousculent. Et il faut me bousculer pour que je bouge un peu. Tiens, voilà le chien de Lily Moore qui vient faire pipi. Me rafraîchir un peu.
Gary

J’ai dans le regard la rue Michelet, un paysage grandiose caché par un grand mur ovale…
Guy


Géographie
Alès. Avec mes deux chats dont un qui s’est fait croquer par un chien. Le deuxième, son frère, que l’on m’a volé à Mende, au bord du Lot.
Uzes, pour les aides alimentaires. Un psychiatre.
L’Hérault, Montpellier pour les chantiers en construction.
Nîmes pour les chantiers et les travaux publics.
Villeneuve-les-Maguelonne pour le foot au stade de la maison d’arrêt.
Aiguillon Lot et Garonne, industrie de la conserve et les bonnes relations avec les copains.
Matignas pour les sauts en parachute.
Charente Maritime pour la manche, le bon cœur des habitants et la soupe populaire.
Lambersart, Lille.
Fabien

dans la maison
assis sur le tapis
je regarde les saisons
qui passent
toute l’éternité ne les fera pas changer
Nordine

Hommage
Tu vas avoir 82 ans, ce mois-ci, quel bel âge, grand-mère. Tant de jours passés comme de pages tournées, de joies, de pleurs, de connaissances et de naissances, de fêtes et de défaites, tout un parcours de bonheur, de peurs, de terreurs, sous l’emprise du Fuhrer, de larmes d’amour pour ta famille que tu as faite pour ne pas tourner la dernière page de ton livre. A ma grand-mère F.
Pedro

L’histoire que j’aurais voulu poursuivre
Tandis que nous traînions au bord de l’eau, comme font les marins oisifs à terre, nous avions des kilomètres de plage déserte pour nous évader. Nous enlevâmes nos chaussures et nos chaussettes, je remontai mon jean, elle releva un peu sa robe pour aller se tremper les pieds dans l’océan refroidi par l’orage du matin, c’était la mi-septembre et l’air était agréable. Les touristes étaient repartis vers d’autres cieux. Nous avions décidé de pique-niquer sur la dune pour avoir une vue d’ensemble. Dans le salon devant le canapé, il y avait une table de nuit en bois avec un tiroir sculpté…
Bernard

Tant de temps perdu
Tant de chemin parcouru
Tant de peines vécues
Tant de portes fermées
Tant de repas détestés
Tant que je tiens debout

Ce qui ne va plus
Ce qui ne marche plus
Ce qui nous tombe dessus
Ceux qui nous écrivent
Ceux qui nous ignorent
Ceux qui nous inspirent
Ceux qui nous montrent du doigt
Ce qui nous dépasse
Y a-t-il une porte de sortie ?
Nordine

J’ai oublié le son de sa voix et son visage depuis que je l’ai quittée une nuit d’orage pour un long voyage, mais le jour de mon retour, j’espère la retrouver aussi belle que je l’ai laissée.
Sim

Sur le cahier tombé sur le sol, son avenir était écrit. Il pleura.
Sim

Mes souvenirs de sommeil
Enfant, dans une caravane, il pleuvait, c’était génial.
Adolescent, dans une cave, j’étais saoul… Mauvaise nuit.
Au commissariat, garde à vue mouvementée, car j’ai mis le feu. Panique, intoxication. Monoxyde de carbone.
Le meilleur… Nuit d’amour avec ma femme aux Saintes Maries de la mer dans un camion aménagé… (Super)
Avec mon petit-fils de six mois endormi sur moi. Le régal de sentir l’odeur de bébé contre soi.
Une chambre d’hôpital, dix jours de coma. Aucun souvenir.
Le plus mauvais souvenir : première nuit en prison. Angoisse, stress, panique, cauchemar.
BD

La porte. Toutes pareilles. La grande pièce. La chambre des filles. La place des garçons et la chambre des parents. Le jardin me paraissait très grand, l’arbre avec les caisses, le cabanon où il y avait le charbon la balançoire les colombes le bac pour la lessive – et le bain les voisins, poulette – et la mère menthe – l’école des garçons plus loin que celle des filles – à dix ou onze ans déménagement le HLM – tout change eau chaude –  salle de bains – quatre chambres – le bonheur – les copains, les mêmes qu’à la cité d’urgence le bois, les collines. Le fort – même école – le long trajet – la cantine pas un bruit – la cour de récré et cet arbre – les murs en pierre saillantes le tobbogan qui nous était interdit puis changement – école mixte
Sergio

Souvenir
Les graines de piposol qu’on achetait à la boulangerie ce petit sachet de très peu de graines et ce goût de salé – une vraie arnaque il y en avait plus après qu’avant
Sergio

Profondément dans mes yeux
J’ai dans le regard les chevaux de Camargue, la mer, les étangs, ainsi que les moustiques qui piquent
J’ai dans le regard la fête des Gitans du 24 mai, célébration et chant religieux et flamenco. Un regard exceptionnel.
J’ai dans le regard les oiseaux et les bateaux, la mer que j’ai survolée en avion pour Ibiza. Magnifique.
J’ai dans le regard mon pauvre père travaillant le fer, avec son camion et sa grue, chargeant des carcasses de voiture pour gagner notre pain.
BD

Fiction

Sa tristesse, c’est un état permanent. On peut peut-être appeler cela “mélancolie”. Je veux dire qu’il n’y a pas de cause récente à son état de morosité. Elle est triste, un point c’est tout, comme elle mesure un mètre soixante, un autre point, c’est encore tout.

On ne voit pas cela bien sûr quand on vient lui demander une boîte de sardines, ou une salade, ou un kilo de pommes de terre. Là, elle est “normale”, fait sinon bonne figure, du moins figure commerciale. Elle laisse glisser son échelle le long des rangements et va chercher la boîte de sardines piquantes, je précise, j’aime bien.

Gourmandise
C’est de la confiture de marron. Je la ramenai de chez moi le dimanche soir, quand je rentrais à la pension, au collège de G. Elle avait un goût particulier, pas de confiture. Non, un autre plus épais, un goût plus rude.

Je croyais cela facile
Séduire Cécile !
Quel imbécile !
C’est qu’elle n’est pas docile, Cécile
Je suis là, j’oscille, je vacille…
Bref, ce fut difficile.
Christophe

Liberté
Dans cette cage parquée entre quatre murs, rythmée par le bruit des clefs que les porte-clefs frottent sur la ferraille ou clefs qui entrent dans les pênes des portes qui claquent sur le mur en s’ouvrant, dans cet endroit de privation où l’homme est déshumanisé, il garde un espace vital dans sa tête que personne ne pourra annihiler, l’esprit libre : la liberté de penser qui franchit les murs et les barreaux et les barbelés.

Chacun doit être à sa place, comme des draps rangés dans une armoire.
Ricky

Il y a un seul truc que j’ai gardé par truc, je veux dire cadeau, offert par mes parents, c’est le rubix cube dans sa boîte en plastique avec les faces complètes de la même couleur. Je n’avais pas envie d’y toucher pour ne pas casser les couleurs.
BC

Les voix de la prison

Entre les murs le temps cliquète et claquent les voix.
Il suffirait d’une clé parfois pour que frémissent les rayons de la reconnaissance,
mais l’humanité se tient, déesse rigide, très haut dans l’air confiné de la prison.
La nuit s’écaille laissant les phrases inachevées des hommes se fondre dans le bruit mat des portes.
Inlassablement pour eux, l’horloge indiquera l’heure de la sortie toujours refoulée comme avec les vagues les morceaux de ferraille des rafiots engloutis.
Quand leur regard ne perçoit plus rien dehors au-delà des corbeaux, abrutis,
ils s’installent parmi la bousculade laissant la lumière bleuir le maquis lointain
sous les coups de l’hiver.
La blancheur moite étouffe toute blessure ; ne subsistent plus que les souvenirs ancrés dans les chapelles obscures où ils prient sans même le savoir.
Pourtant l’espoir se dresse où chaque barreau s’invite, et s’ouvre le portail du temps à ces loups orgueilleux dont les yeux réfléchissent toutes nos cicatrices.

Entre les murs le temps cliquète et claquent les voix.

Au milieu de l’infini, une porte s’est ouverte.
Aux nuits succèderont les nuits, heureusement peuplées de phrases surgies des livres.
Et la lecture pénètre la brèche où est éclose la fêlure pâle de l’évasion, celle de l’écriture où se faufile le tissu de leur vie rédigée avec peine, parfois avec effroi, mêlant à leurs désirs nouveaux des rêves de futur.

Ainsi fuient-ils l’ennui et sèchent-ils leurs larmes de papier.
Désormais, ils ne baisseront plus les paupières.

Marlen Sauvage