Cette avant-dernière proposition du Carnet d’écrivain (40 exercices pour le carnet d’écrivain, éditions tiers-livre) fait appel au rêve comme matériau d’écriture… Comme je les consigne ici dans une série intitulée Rêves – bien qu’il paraît que c’est ce qui intéresse le moins les lecteurs (tant pis) – j’ai passé en revue les thèmes récurrents et retenu celui de la claustrophobie.
Ce sont de grands espaces – salles d’exposition, pièces d’accueil, immenses chambres, routes – où la tonalité reste blanche quel que soit le rêve. Blanc, lumineux, clair. Des espaces peuplés d’inconnu.e.s que je croise, auxquel.le.s je parle parfois, qui me questionnent… Je suis toujours accompagnée de proches, d’amis. Invariablement, à un moment donné du rêve, quelque chose vient « recouvrir » un morceau de l’espace : rambarde, route… Cela prend la forme d’algues, d’eau mazoutée, de goudron… Des rêves assez souvent liés à des morts proches ou advenues.
Je fouille dans les vieux carnets, celui-ci daté de 2006 me rapporte un rêve très étrange. Est-ce que j’avais lu ou vu quelque chose ayant trait à cette période de l’histoire ? Je me souviens en tout cas de mon malaise au réveil.
Nous étions M. et moi des espions, entrés chez Hitler pour récupérer je ne sais quoi. M; a le temps de se cacher dans le tiroir d’une commode (c’est très exigu le tiroir d’une commode !) tandis que je me plaque contre une armoire, retenant ma respiration. Hitler rentre et me voit. Il m’embarque et je marche à côté de lui. Il est immense à ma droite. Nous traversons sans doute un camp de concentration. Il est hautain. Je veux lui filer une claque mais ma main n’arrive pas à l’atteindre si bien qu’on peut penser que j’ai voulu le caresser. Je prends conscience qu’on peut m’avoir vue. Je sens de la gêne. Pourtant quand Hitler se penche vers moi, et je comprends qu’il a compris que je voulais le frapper, j’ai peur soudain et je l’embrasse sur la joue (elle a l’aspect, le granulé de la peau de M. !) J’ai honte. Je répète quelque chose comme « juste un baiser ».
Ce rêve date de 2004, en décembre. Je m’en souviens encore parfaitement. Il y avait une atmosphère de vacances, une lumière particulière, tout était très clair dans ce rêve. Je n’avais aucune idée de l’angoisse qu’il recelait… Etrange réflexion… Comme si dans mon rêve subsistait une sorte de conscience éveillée.
Nous sommes avec deux autres personnes (S et J ?), M et moi, en vacances. Nous poussons la porte d’un appartement en haut d’un immeuble, cherchant un endroit où nous poser, la porte est ouverte, nous entrons. Nous commençons à déjeuner, sortant notre repas du sac, au milieu du désordre ambiant. Des fringues sur le dos des chaises, une robe d’été bleue, une petite culotte, etc. Quand j’aperçois une main poussant la porte d’entrée, et réalise trop tard au bruit que j’entends que l’on est en train de nous enfermer à clé dans l’appartement…
C’est un rêve récent que celui des cancrelats… Il date de la fin décembre. Je ne sais pas à quoi le raccrocher, il est jeté dans mon carnet, sans date. Mais les jours précédents, j’avais appris que la neige tombait en tempête au Québec où est ma fille aînée, et qu’à La Réunion, où se trouve la seconde, les inondations étaient dramatiques.
Je suis allongée dans une chambre, la nuit. Je me réveille, dans le clair-obscur, j’aperçois un cancrelat sur le mur. J’envisage de l’écraser, d’éclairer la pièce pour le faire fuir. J’ai peur qu’il y en ait d’autres. Mais je ne veux pas réveiller l’homme qui dort près de moi (je ne sais qui il est). A l’aube quand le jour s’épaissit, le cancrelat est toujours là, il m’a l’air explosé, comme si quelqu’un avait jeté une charge sur lui. Pourtant un peu plus tard, je le vois se déplacer, il descend le long du mur, il sait que je l’observe, ses longues antennes fines me le disent. Il a peur, il est méfiant. Dans la foulée, je me trouve dans un bus ou autre véhicule, en surplomb d’une route bordée de jardins potagers, petits, étroits, accolés à des masures en paille, auxquelles succèdent des carrés d’herbes folles. Ma sœur B. est avec moi. Je prends des photos en plongée. Ici on parle espagnol. B. ne comprend pas, je traduis. A un carrefour, alors que nous sommes arrêtés, les cancrelats réapparaissent. Le paysage et les gens sont « normaux », mais les cancrelats sont là comme posés dans l’air, sur un mur invisible. Une femme (ou un homme) avec laquelle nous discutons nous dit qu’ils seront toujours là, qu’il faudra faire avec eux, apprendre leur langue, que nous dialoguerons, que nous ferons communauté.
Je suis bien convaincue que ce que nous vivons impacte nos rêves. A l’époque de celui qui suit, très bref – mais c’était surtout une ambiance particulière que j’en avais retenue – je vivais quelques mois par an à Tunis. Je m’étais remémoré le rêve de la nuit précédente alors que j’attendais quelqu’un dans les locaux de l’ENS, et précisément dans le « bureau des professeurs ». Le rêve avait donc précédé ces notations : « Des fils électriques dénudés à leur extrémité courent le long de la plinthe d’un mur sale dans cette pièce aux bureaux empoussiérés, aux étagères et placards dont les portes sont disjointes, au volet roulant délabré, aux rideaux gris dans un tissu frappé qui nécessiterait un bon nettoyage… Je mesure derrière cette saleté, cette médiocrité, l’insulte faite aux professeurs et aux étudiants. »
Des petites maisons dans ce rêve-ci, des masures plutôt, dispersées, grises, autour d’une maison en bien meilleur état, une grande pièce chauffée à l’étage où me recevait Nans. Et je devais repartir, rejoindre la petite maison qui m’avait été attribuée…
J’ai l’habitude de noter mes rêves au réveil, sans me poser de questions, sans rature, d’un seul geste spontané, pour restituer au plus près ce dont je me souviens. Comme je ne relis pas mes carnets, j’avais oublié ce rêve, sa ressemblance (dans sa première partie, uniquement) avec le rêve n° 5 et je n’avais surtout pas remarqué la nuit à laquelle il s’est manifesté. Dans cette journée du 19 décembre 2018, nous avons appris la mort d’Eric.
Le rêve en morceaux de la nuit passée (nous sommes mercredi 19) Je marche avec à mes côtés B. et P. Nous nous déplaçons dans un vaste espace, d’immenses salles se succèdent. Nous parlons en souriant, je ne sais pas ce que nous disons. Il y a une couleur rouge qui domine dans la lumière de la scène. J’aperçois par une porte ouverte un brouillard qui plane à ras du sol dans une salle : c’est la salle du brouillard. Nous continuons d’avancer en nous demandant « où c’est ? » quand un homme vêtu de blanc s’avance vers moi, s’approche jusqu’à presque m’embrasser mais ne le fait pas (j’entends B. et P. se questionner à ce propos, se demandant si finalement je connaissais cet homme et suggérant que mon attitude avait engendré ce comportement de la part de l’homme). Mais j’ignore qui il est et il me conduit là où je dois aller (en stage, en formation ?). Je ne me souviens pas où nous allons alors que mon rêve m’y emmenait… Autre image : alors que je discute avec deux personnes, un jeune femme s’approche de moi, serre la main des deux autres et on me la présente « Anne, fille de… » (?). Je la regarde intensément, je la trouve belle, elle porte les cheveux courts, elle est jeune et souriante, j’hésite à l’embrasser comme elle est la fille de x que je ne connais pas. Alors que je me fais la réflexion de ma gaucherie, elle m’embrasse au coin de la bouche (la coutume est d’embrasser sur la bouche, mais j’ai bougé imperceptiblement) en me disant tout le plaisir qu’elle a à me rencontrer et que nous nous reverrons très vite. Je suis heureuse, je souris. Autre image : un jeune homme, la trentaine, brun, vêtu d’une chemise ou d’un costume bleu jean pâle. C’est une connaissance, nous discutons. A un moment donné, il est allongé, il semble dormir sur le ventre, la tête dans un oreiller, mais pourtant nous sommes en pleine conversation. Nous ne sommes pas du tout intimes. Il répond à mes questions précisant qu’il ne se mariera qu’avec une jeune fille vierge, il poursuit, mais je ne me souviens pas de la conversation. Je lui glisse juste à l’oreille : « Tu ne serais pas Tunisien, toi ? » Et il éclate de rire.
Encore un drôle de rêve – ou un cauchemar – autour de la claustrophobie et de la mort, je pense. Je lisais à ce moment-là Le chemin des âmes, de Joseph Boyden. Mais c’est aussi la période qui précède la mort de mon beau-frère.
Nous (?) décidons d’ouvrir un lieu d’accueil ; un endroit immense, assez moderne, constitué d’une succession d’immenses salles. Dans l’une d’elles, plusieurs machines (non identifiées) qui tomberont en panne plus tard dans le rêve, le jour de l’ouverture, au temps T, on parlera de « maintenance ». Il y a dans un aquarium géant une « vache de mer » (oui, je sais, on parle de lion de mer ou d’éléphant de mer, ici, il s’agit bien d’une vache !). Enorme, un corps en deux parties (j’ai tenté de la dessiner dans mon carnet, au moment du réveil). La bête est noire, ses poils ressemblent à des plumes luisantes. Elle sort la tête de l’eau en voyant passer un homme, mais elle la sort tout droit, il n’y a pas de vitre et aucune eau ne s’évacue… Il y a une « couverture » d’algues vert d’eau, au grain très dense, qui recouvre des rambardes, des séparations dans les pièces. Ça pousse tout seul, doucement, ça recouvre tout ! Je dois soulever la peau d’algues pour retirer un drap ou autre chose resté accroché à une rambarde. Il y a un homme (est-ce un employé ? est-ce mon voisin ?) qui critique une signature sur une « ordonnance ». Il me la montre, elle ressemble à un dessin d’enfant. Je lui dis d’arrêter ses remarques désagréables. Muriel me ramène chez moi en passant à gauche d’un rond-point, je le lui fais remarquer et lui fais promettre d’emprunter la prochaine fois – et toujours – le rond-point.
Dans le carnet où je retrouve ce rêve, j’ai noté « cauchemar de claustrophobie ». Je n’ai plus en tête ceux que j’ai pu faire, mais j’ai souffert longtemps de claustrophobie au point de monter plusieurs étages à pied pour arriver à mon bureau, parce que je préférais éviter l’ascenseur ! J’avais fini par apprivoiser « le voyage ». En relisant le cauchemar ci-dessous, je réalise que deux jours plus tard mourait Eric…
Rose-M. et moi, nous prenons la route pour aller chez un médecin. Il y a foule mais nous avons réservé pour 14 heures, en tout cas en début d’après-midi. Nous empruntons une route détournée pour des raisons que j’ai oubliées et quand nous approchons d’un quartier pourtant assez campagnard, « on » nous précise qu’il faudra éviter au retour cette route que l’on « recouvre » dans l’après-midi. Nous trouvons difficilement le cabinet du docteur. Un enfant nous guide à travers une ruelle. J’aperçois la tête de quelqu’un qui paraît couché dans un container bleu. Il semble que ce soit la mère du garçon. Nous passons devant des portes ouvertes sur des trous, comme des placards de rangement, de forme ronde. Rose-M. jette une poignée de terre dans l’un des trous, je lui dis que ce sont des sortes de greniers. Nous arrivons dans une salle comble mais je finis par dire à Rose-M. d’avancer. Elle joue aux devinettes avec le toubib mais comme j’ai ses feuilles, son anamnèse, je donne une partie des infos au toubib. Puis je me souviens que Rose-M. a eu plusieurs maladies graves. C’est mon tour. Je ne me souviens pas de ce qui se passe là, peut-être rien. Nous reprenons la route, jusqu’au quartier où à l’heure où nous la prenons, le bitume finit par nous recouvrir. Il avance comme un toit étroit et raide au-dessus de nous qui venons juste de laisser passer une voiture à un stop, sur notre droite. Il nous recouvre et je dis à Rose-M. que nous avions oublié ce détail. Je me réveille.
Parfois, il ne me reste rien qu’une image, un son, une phrase, d’un rêve qui pourtant me paraît avoir occupé une nuit ! Impossible de rassembler autre chose que quelques bribes, comme celle-ci pour un rêve daté de la nuit du 14 au 15 novembre dernier.
« C’est comme en amour, les femmes sont prêtes à tout dévorer, les hommes laissent vingt pages. »
Cette phrase me parvient dans la bouche d’un « personnage », maraîcher sur le marché de Nyons !
Je me souviens d’une pièce de théâtre, vue en 1998 ou 1999, en région parisienne, au théâtre Gérard-Philipe, à Saint-Denis, jouée par la troupe d’Olivier Besson, intitulée A quoi rêvons-nous la nuit ? On nous faisait entrer seul.e, en tout cas pas en couple, et nous demandait de nous installer sur des matelas à même le sol, posés sur une scène en contrebas. Une fois allongée, j’avais entendu un tic-tac inquiétant. C’était un gros réveil situé sous mon matelas ! Dans cette position couchée, nous étions tous aussi vulnérables les un.e.s que les autres. Seule une jeune femme, qui se disait journaliste, avait refusé de se coucher, pensant probablement rester objective pour écrire son papier, mais se privant d’une expérience peu commune ! En tout cas, la suite fut aussi extraordinaire que le début : une pluie de plumes nous accueillit très vite, en même temps que les comédiens tournaient autour de nous en hauteur, nous invitant à nous endormir si nous le souhaitions…
Il y a du monde. Une expo à laquelle je me rends en fauteuil roulant. Je passe une salle, arrive dans une deuxième salle où une femme me fait remarquer que je ne devrais pas rester en fauteuil pour la visite. Je reste assise, je réfléchis à sa proposition. Dans la grande pièce, quelques visiteurs. J’ai vu – avant cette salle ? – des images de cascades, d’eau dévalant des montagnes vertes (comme à La Réunion), des images de terre, de nature, et puis là, une dame près d’une sorte de poêle en métal quelque peu rouillé expose quelque chose. Quoi ? En tout cas, j’observe, et je vois un paquet d’allumettes (ou juste une allumette ?) que je frotte contre la paroi de l’objet poêle, et qui s’allume instantanément. Je m’exclame. Eteins l’allumette. Je suis avec quelqu’un, G. ? Peu après, l’objet poêle s’enflamme doucement d’abord, par en-dessous, puis plus fortement sur les côtés. Nous prévenons la dame qui ne s’en inquiète pas. Un peu plus tard, elle se baigne d’ailleurs dans l’objet, et nous lui montrons la fumée qui en sort. Elle la voit. Dans un autre rêve foisonnant la même nuit, il me manquait un fusible, quelque chose ne fonctionnait pas ou ne s’éclairait pas en raison de ce manque.