Petits bonheurs (95)

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« mon cœur, mes yeux, l’arbuste, le mur éreinté : partout rouge sang – rouge  feu – rouge baiser – le rouge et ses ongles racle les volets mille et une fois écorchés »

Texte et photo : Jacques de Turenne

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L’hirondelle rouge, J.-M. Maulpoix

 

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« J’éprouve une espèce de honte à m’asseoir dans le train de banlieue un écouteur sur les oreilles. C’est comme déserter mes semblables, leur signifier mon indifférence… Mais en ce moment, j’ai besoin de musique. Mozart ou Schubert surtout. Pour que les larmes coulent autrement. Dans l’oreille plutôt que dans l’œil.
Ne pouvant plus rien entendre aux affaires humaines, je me souviens du monde dans la musique, là où ne vont plus les mots. Là où continue de prendre sa source le poème.

(…)

C’est à peu près comme si les freins de ton vélo avaient lâché au sommet de la côte. Irrésistiblement, tu prends de la vitesse. Le temps qui file à toute allure te blanchit les temples. Tu ne roules plus, tu glisses. Ta vie est de neige, de sable et d’eau courante.
L’inconnu est de plus en plus proche. Il ne se déguise plus en terres lointaines, en azurs, en chimères. Assis là, sur la chaise, il t’attend devant la porte.
Que lui dire ? La misère n’est précise qu’en sa phrase démunie. La machine du cœur continue son travail. Au-dehors, la campagne dort. Là-bas, la pluie est silencieuse. Il n’est de chant possible qu’un bâillon sur la bouche.
Tu attends, toi aussi, derrière la porte, l’oreille déjà collée contre le bois. Tu as pris rendez-vous. Ton tour viendra bientôt. Tu ne guériras pas de cet abîme.

(…)

Je vous le demande : lorsqu’elle s’est échappée du corps, où l’âme est-elle allée se loger ? Dans quel trou de souris ? Dans l’armoire, dans le piano, sous le tapis ? A quatre pattes, je la cherche, comme une bête qui croirait encore à sa proie. Et je renifle jusque dans ma bouche, ce souffle dont je ne sais plus s’il est de vie ou de vent. »

Jean-Michel Maulpoix, L’hirondelle rouge, Mercure de France, 2017

La route rouge de Rimbaud

Le sommeil gronde, deux voix s’étreignent, basses, féroces, sous l’oreiller, le cœur fonce au galop. Les voix grimpent dans le ciel sans étoiles qui traverse la chambre. Dehors la chouette hulule comme pour donner le signal mais tout n’est plus que silence – C’est une armée qui se met en route dans un grand barouf d’armes levées, de clairons sonnant, d’ordres jetés – Le sursaut du réveil, près des larmes, inquiètes, debout. Aucun regard dans la cuisine, seuls le haut poêle à mazout, le meuble en bois blanc repeint, la pierre à évier, grise, dans un angle de la pièce, le plafonnier hurlant de toute sa hauteur. Des phares dans la nuit. Et de retour, le visage creux, les cheveux blonds en désordre, le teint cireux d’une morte.

Dans ce moment avant que l’aube pointe son jour blanc, quand le matin sombre encore dans la nuit, que c’est le début de l’été, les placards qu’on ouvre, les valises qu’on claque, les murmures, les allées et venues entre la cuisine et la cour, les pas sur les graviers…, la haute maison veille. Avec la fraîcheur du petit jour, le moteur de la Simca se met en route par précaution. C’est le désir et le regret engourdis de sommeil, les habits qu’on enfile à l’envers, avant de se glisser dans la voiture, à l’arrière, et de poursuivre ses rêves dans le cahot du chemin de pierres. Pour se réveiller à l’approche du Nord, dans un midi gris et bas.

Le chant des cigales et des grillons sonne l’été bleu près du bassin aux eaux mouvantes ridées par l’écoulement de la source. Dans la chaleur, la nature grésille. Le soleil brûle toute tentative de fixer l’horizon. Une seule échappée à la sieste : la dalle de béton froid, à l’ombre du figuier. Là, le regard planté vers le ciel, vers cet avion qui dépose une traînée blanche diffuse, se disent les rêves d’autres vies, loin d’ici, les histoires inventées des petites filles. Le frisson d’une autre origine traverse tout le corps. La mère a des airs de Lana Turner, elle attend à la porte de l’école, la taille enserrée dans une jupe rouge et blanche. Elle est si belle, si blonde. On dit qu’elle a dix-neuf ans. Qu’un avion l’emmènera bientôt. Les tressaillements de la peur figent un instant cette pensée. La mer après le ciel, les murs blancs, les toits plats, le ravin, les coups de fusil.

 

MS

 

Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture permanent proposé par François Bon sur le tiers-livre. Vidéo explicative ici, sur la chaîne youtube de François Bon.

 

 

 

 

 

 

Poisson rouge

 

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Une soirée sur la plage de Monsieur Hulot, à Saint-Marc-sur-Mer. Un rocher assailli par les moules minuscules, une pause dans le mariage, entre dix-huit heures et vingt heures, les pieds dans l’eau. J’écoute mes pensées, leur papotage recouvre celui des invités, plus haut sur le front de mer, il roule et bat comme l’océan mais à cette heure-ci pas de batailles, pas de vagues, la marée monte et je l’attends. J’entends la voix d’un professeur à quoi bon aller à la pêche quand on a déjà les poissons dans la main. Elle vient de loin très loin dans le temps. Au bord de la plage de Monsieur Hulot, les algues piègent mes orteils. Je m’étourdis du piqué des mouettes à la pêche de poissons brillants. Ici aucune profondeur marine, aucun poisson d’or. Celui de Paul Klee surgit un bref instant de son tableau bleu outremer. La peau mange le soleil qui tombe en miettes dans le soir naissant, on ne craint pas les coups, à Saint-Marc-sur-Mer un samedi de juin entre dix-huit heures et vingt heures. L’air est doux, la musique lointaine, haché le cliquetis des verres que l’on installe sous le barnum pour l’apéritif à l’Hôtel de la Plage. De temps en temps, le cri d’un enfant, ils courent quelque part sur le sable gris. L’un d’eux fait la roue et porte un habit jaune. Mais aucune partie de tennis, le jour tombe, les vacanciers repartent chez eux. Je voyage dans un temps incertain, dix ans, quinze ans, vingt ans peut-être à Saint-Marc-sur-Mer ce jour de juin. Et tandis que la mer ouvre et ferme ses portes , la nounou cueille un poisson rouge.

 

1 – Yves Rouquette, poète occitan.

 

Image © Marc GuerraDes poissons et des femmes, ≠26

Nous poursuivons notre voyage dans l’univers  Des poissons et des femmes entamé le 4 janvier et pour une année entière : sur une image de Marc Guerra, j’écris un texte et publie le tout chaque vendredi… jour du poisson !

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Le carnet rouge à spirale [≠ 15]

Dans le tram, elle vient de perdre un bouton et se baisse pour le ramasser, sourires. Elle demande où se trouve le boulevard Victor Hugo et, devant mon impossibilité à lui répondre, raconte son emploi au Rectorat, à Montpellier où elle ne vit que durant la semaine, pendant que son mari vit à Bagnols-sur-Cèze. Son village est Saint-Nazaire, elle est surprise que je le connaisse. Son feu notamment. Rires.

[Souvenir de cette belle rencontre comme on n’en fait que dans les trams bondés, enfin, moi.]

« Cessez d’être gentil, soyez vrai. » Thomas Dansonberg

Etre la part de rêve de l’autre… « Tu es ma part de rêve », dit-elle à Willy le 5/4/11. Wouahhhhhhhhh !

La part énigmatique chez l’autre, qui rend amoureux.

Je vais tousser, donc me décaler.

[Il y a parfois de ces notes qui me laissent rêveuse…]

(…)
[Suivent les notes prises pendant une conférence avec Marie Etienne, organisée par Marie Bourjea, à la fac de Montpellier. Feront l’objet d’un autre document.]

Créer, c’est s’extraire de soi pour observer la vie en nous et hors de nous. C’est se tenir à distance pour entendre d’où « ça » parle.

Et ce carnet rouge à spirale se termine le 1er février 2013 avec ce dessin de Marc, que j’y trouve seulement maintenant…

La-dame-de-fevrier-2013
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Le carnet rouge à spirale [≠ 14]

Essential Killing, de Jerzy Skolimowski, magnifique, blanc et muet.
« La fleur absente de tout bouquet », ce que m’évoque ce film quasiment muet, où pourtant tout est dit de l’errance d’un homme obligé de tuer pour ne même pas survivre.
1/4/2011 à Alès, et Emmanuelle Seigner est muette…

« Love is a gamble », pub au Galway, Alès le même jour. Sur une affiche du vendredi 17 décembre pour le DJ Gaetan Creyel.

Vivre en sachant qu’on ne vit plus sous le regard de quelqu’un, c’est ce qu’il a expérimenté à la mort de sa mère. 2/4/11

Envers du fanfaron qui au lieu de l’être par volonté d’en imposer au monde, en a conscience, mais veut cacher à son fils – qu’il ne voit que le jeudi – qu’il est raté. Walter Kory

Tellement obsédée, au Galway, au lieu de lire « Ici à la pression », je lis « Ici, à la passion » !!! 2/4/11

Failles : début du film de Smolikowski
[un de mes thèmes d’écriture]

« Promeneurs, il n’y a pas de chemin, il faut seulement marcher. » Machado, le voyage est la vie, au début du film de Smolikowski.

Claudio Magris dit que le voyage n’est pas forcément un déplacement, c’est un moment de rencontre avec un visage, un lieu… (cf. Microcosmos)
Le peintre Zigaina qui a connu Pasolini à Udine dit que celui-ci voulait mettre en scène sa propre mort parce qu’il savait que le monde ne voulait pas de lui (dans les années 60) et que seule une mort théâtrale changerait son histoire.

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Le carnet rouge à spirale [≠ 13]

Belle journée du 11 mars [2011] entre éclaircies et nuages gris, entre faîtes des toits et tuileries, entre crèmerie et Lenôtre, cave à vins et Monoprix… (…)

[Suite de l’histoire du couple croisé aux Cadrans, gare de Lyon.]

La rupture comme décalage. On se sent à côté, un espace vide, c’est-à-dire non habité, entre soi et l’autre. Aucun pas n’est envisageable dans cette direction, on ne rencontre que le vide du questionnement sans aucune voix pour en tenter la résolution.

Jour de retour. Lundi 9h30 aux Cadrans. Gare de Lyon. Le ventre noué. Une nuit sans sommeil. L’angoisse comme à la découverte de la fin de quelque chose. Difficile de capter son regard ou sa main.

Le plus dur est qu’il n’y a pas de sourire entre eux alors qu’autour d’eux les couples se tiennent la main, se sourient. Elle lui dit qu’elle s’installera à l’autre bout de la maison, alors son visage s’éclaire et sa voix s’anime.

Ils se retrouvent quelques jours plus tard dans un restaurant où ils se sont donné rendez-vous. Ces retrouvailles n’en seront pas. Dès qu’elle évoque son travail, il la quitte pour « se laver les mains ».

[Toutes ces choses observées et entendues qui font des notations.]

Etre dans le ventre de la baleine et ne plus en chercher l’issue. Une situation qu’elle n’a pas choisie, et c’est le désespoir, la détresse de ne plus être maîtresse de rien. Etre dans l’abandon total, à la merci de l’autre, en quelque sorte.

Elle
Rester maîtresse pourtant. Je préférais l’amoureuse sans doute, du temps de l’amour courtois où l’amant était le mal aimé qui aimait sans retour sauf à chercher un regard de sa belle et le croiser.
Il semblerait que nos yeux n’aient aucun avenir sans larmes. J’ai de l’avenir donc, au moins dans le regard. Où est l’horizon ?

Elle traque une initiale sur la statue de l’homme qui porte un cheval. Puis une autre sur les bords de l’eau où ils se promènent. Tout fait-il signe ? Elle y voit les traces d’une présence.

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Ce matin en allant à la fac « Peut mieux faire » peint sur un mur me fait éclater de rire.

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