
Voici la réponse d’une participante à mes ateliers, Anne Vernhet, à une proposition qui consistait à écrire la fin d’une situation, pour ensuite seulement imaginer les vingt minutes précédentes. J’ai adoré ce texte, son suspens, son écriture. A la suite de cette proposition, une autre, qui demandait de créer une atmosphère étrange à partir du corps, du visage, du physique, d’un personnage. Très réussi aussi, je trouve !
Première proposition :
La fin
Elle courut à perdre haleine. Le ravin était proche. Elle s’engagea sur l’étroit pont de pierre. Ses poursuivants étaient toujours là. Elle enjamba la balustrade et se tint quelques secondes debout au bord du vide. Les cris se rapprochaient. Elle sauta dans les eaux des gorges profondes.
Les vingt minutes qui précèdent
Elle avait tout prévu. Son plan allait réussir, elle en était sûre, elle n’avait rien laissé au hasard. Des mois qu’elle se préparait. Des mois à serrer les dents, à sourire quand il le fallait, à dire oui madame, oui monsieur, à se lever quand il fallait se lever, à faire des tours de cour quand c’était l’heure de la promenade et à dire merci madame, à manger leurs aliments infects sans se plaindre, à rencontrer le docteur, l’assistante sociale, l’éducatrice, la psychologue…, etc. etc. Oui madame, bien sûr madame. Je regrette madame, je regrette monsieur. Et à raconter sa vie. Sa vie ! Qu’est ce qu’il en connaissait vraiment ? Ce qu’elle en avait raconté ? Du misérabilisme, c’est ça qu’ils voulaient tous ! Et elle leur en avait fourni, oh oui ! Ils en avaient les larmes aux yeux. Mais ils n’en avaient jamais assez. Alors elle racontait, encore et encore. Elle ne savait plus elle-même ce qui était vrai. Mais cela avait porté ses fruits. Bonne conduite. Écrit en bas de son dossier et paraphé par le directeur, le sous-directeur, la gardienne en chef, l’éducatrice, le médecin… etc. etc. Alors, enfin, elle avait pu mettre au point son plan. Une demande pour que la pauvre jeune femme qu’elle était, si défavorisée par la vie et si seule, puisse être transférée pour se rapprocher de la seule personne qui l’avait jamais aimée dans cette terrible vie, son grand-père. Elle en aurait ri si elle avait encore su le faire. Mais ça avait fonctionné. Et maintenant, la voilà qui montait dans le fourgon qui allait l’amener dans son nouveau lieu de détention, à cinq cents kilomètres de là.
Le trajet s’était déroulé comme prévu. Grâce à ses bonnes manières, elle avait réussi à avoir toutes les informations. Arrêt à la cafétéria sur l’aire de l’autoroute. L’aire qui était située en zone montagneuse, entre hauts plateaux et rivières sinueuses. Quatre policiers pour une si gentille prisonnière. Aucune inquiétude. Les difficultés commencèrent pour sortir des toilettes sans être vue. Elle compta sur l’impatience de la jeune policière qui finit par s’éloigner fumer sa cigarette. En quelques secondes elle fut dehors, au fond du parking, la (voiture) devait l’attendre, elle avait à peine quelques minutes de retard. Mais au fond, près de la grille, celle qui séparait la forêt de la zone routière, il n’y avait personne. Stupéfaite, elle scruta désespérément le vide devant elle. Elle n’était pas là. Ce n’était pas possible ! Elle lui avait fait confiance, elle n’avait confiance qu’en elle, la seule personne qui méritât qu’elle continue de vivre. Que s’était-il passé ? Elle ne le saurait probablement jamais. Son absence venait d’être découverte. Elle entendit les policiers qui criaient. Sans plus réfléchir, elle escalada le grillage, se griffa les bras, les jambes et retomba lourdement de l’autre coté. Elle emprunta la piste forestière qui s’enfonçait dans les arbres. Alors que ses jambes semblaient se mouvoir sans aucune volonté de sa part, elle sut que ses gardiens étaient derrière elle.
Deuxième proposition :
Elle ne l’avait pas vu au premier abord. Il était beau, charmant ; elle avait accepté son invitation sans se faire prier, flattée qu’un tel homme s’intéresse à elle. Lorsqu’il s’était reculé, après lui avoir donné ce baiser si doux, elle avait bien cru apercevoir une légère marque à droite de sa lèvre supérieure, vision fugace, elle avait pensé à une fossette. Ils avaient quitté le restaurant ensemble et il l’avait suivie chez elle. Le charme opérait toujours bien qu’une certaine froideur semblait l’envahir, probablement due à la température extérieure qui avoisinait les zéro degrés. Des heures qui avaient suivi, elle ne se rappelait que cette bouche qui la détaillait, la scrutait, la dévorait, et parfois un reflet métallique qui traversait l’obscurité comme un éclair éteint sur son visage. C’est le froid qui la réveilla, elle crut que le thermostat du chauffage était encore déréglé. L’homme était là, allongé près d’elle. Elle se recula brusquement. Aucune chaleur de semblait émaner de son corps nu. Elle tourna les yeux vers son visage, la cicatrice prolongeait sa bouche dans un rictus diabolique qui la glaça jusqu’au sang.
Textes : Anne Vernhet