Un exemple…

« Je pense à ma mère. Pendant les bombardements, avant de descendre dans l’abri, elle passait une minute à se coiffer devant son miroir pour être présentable.
Une minute pendant un bombardement, c’est un temps énorme à perdre ou à trouver. Son aspect avait la priorité.
Aujourd’hui je sais que cette minute d’amour-propre lui donnait du courage. Elle résistait à la force supérieure avec la force mineure de la dignité.
Elle disait que lorsqu’on va payer ses impôts, il faut bien s’habiller et ne pas se donner un air misérable.
La guerre était pour elle un impôt sur la vie des gens. Il fallait se présenter de façon correcte.
J’essaie de suivre son exemple.
Je préserve le feu, avec le reste des braises j’allume celui du matin, je réchauffe mon repas, je sèche mes vêtements.
Je te raconte ces petites choses importantes. Je retrouve en elles une règle du Mikado : attention aux moindres mouvements, faire avec intention, sans automatisme.
Je lave mon bol sans laisser d’odeur qui puisse attirer les animaux.
Je laisse dehors le marc de café pour couvrir une éventuelle trace d’aliments. Je me sers de la cendre pour dégraisser ma casserole avant de la laver.
Le sommeil arrive, je m’y plonge en quelques minutes. Au réveil, je remercie, je ne sais qui, mais j’ai envie de dire merci. »

Erri De Luca, Les règles du Mikado, éditions Gallimard, 2024
Traduction de Danièle Valin

Photo : Marlen Sauvage

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