Carnet des jours (64)

© Marlen Sauvage 2016 Mes carnets, ma mémoire…

Mars 2023

Dimanche 5 mars
Et je n’ai rien écrit encore dans ce carnet (moleskine rouge, pour Patricia Lacourte 😉). J’avais noté dans mon agenda que j’ai choisi large et épais pour cette année 2023 : « Envoyer L’heure attendue à Amélie + photo ». Cette « heure attendue », premier épisode d’un jeu littéraire intitulé « Va-et-vient », que nous mettons en route avec Dominique Hasselmann et Amélie Gressier, justement (alors que se joignent à ce projet Brigitte Célérier et Dominique Autrou). J’ai donc écrit ces derniers jours.
Sous cette note, dans mon agenda, « mal en point ». Et cela ne s’était pas arrangé puisque le jeudi 2 j’indiquais « couchée toute la journée, bronchite, maux de tête ». Le souvenir que le moindre bruit me vrillait le. cerveau. Enfin le 3 mars, notre ronde de textes apparaissait sur nos blogs respectifs et déjà nous avions en tête notre prochain défi « Ce drôle d’effet ». J’allais mieux le samedi 4, jour de la réunion des copropriétaires de mon petit immeuble, puisque nous nous retrouvions réunis autour d’une bouteille en compagnie de ma nouvelle voisine – et donc des anciens – venus faire leurs adieux à leur lieu de vie. Ne jamais sous-estimer le deuil que suppose un déménagement. A. en est sans doute le plus affecté. C’est ce jour-là que j’ai visité, en bonne compagnie donc, l’immense appartement du dessous (600 m2) de HLS, 80 ans cette année, mis en vente dans sa totalité et ne trouvant pas acquéreur… Voué à une partition en quatre appartements distincts.
Ces premiers jours du mois, je les ai consacrés à la lecture et l’écriture : terminé Aux îles Kerguelen de Laurent Margantin, dont je lis aussi la lettre mensuelle. Ainsi que Le grondement de la montagne, de Kawabata, lu en grande partie la nuit, puisque celles-ci sont amputées de deux bonnes heures systématiquement que je n’aime pas perdre en seules rêveries. Lu donc, et écrit, car je me tiens quotidiennement aux 40 exercices pour le carnet d’écrivain de François Bon.
Ce dimanche 5 mars, en admiration devant les toits de l’église, à l’écoute de sa cloche sur le coup de 18 heures dans la lumière douce de ce soir froid, j’ai passé une heure au téléphone avec Julie, planché sur deux propositions exceptionnellement pour prendre un peu d’avance compte tenu du programme de demain. Mais ensuite une et une seule par jour, comme convenu avec moi-même.

© Marlen Sauvage 2023 – En Cévennes…

Du 6 au 10 mars
En Cévennes gardoises (le système me propose « grandioses », ça me va aussi), pour garder la petite-fille à béquilles. J’admire le soir penché sur la clairière… Une seule journée pour nous, ce sont les vacances ! Et du sommeil à rattraper. Une tempête, un gros coup de vent en fait, qui se déchaîne la dernière nuit de notre séjour. Chaises de jardin sur la terrasse jetées en bas, plantes renversées, pots divers tombés à l’étage en-dessous ! On repart le vendredi matin après un passage à Thoiras au magasin de producteurs. Pique-nique à Lussan devant la vallée et ses champs labourés.

© Marlen Sauvage 2023 – Le château de Lussan

Samedi 11 mars
Carnet d’écrivain, 17e proposition. Je sèche. Retour à Vinsobres.

Mardi 14 mars
Visite à S. et R. à l’Unité de soins longue durée. S. me répète que son anniversaire aura lieu la semaine prochaine, le 21 ! Je file lui acheter une carte d’anniversaire.

© Marlen Sauvage 2023 – L’Isle-sur-la-Sorgue

Mercredi 15 mars
Journée de manif à laquelle je n’irai pas. Virée prévue de longue date avec J., à la Fontaine de Vaucluse entre mistral et confidences. Et puis Pernes-les-Fontaines et ses ateliers d’artistes au chemin marqué de petits soleils jaunes. Je découvre sur FB que François m’a envoyé le lien vers la compilation des textes issus de 40 exercices pour le carnet d’écrivain. Contente comme tout, et me demandant encore comment cet homme parvient à accomplir tout ce qu’il propose…

Jeudi 16 mars
Une séance de spa ionisant et l’apparition de drôles de bulles sur l’eau ! Demander l’AVE pour le Canada et prendre contact avec Karen pour l’échange d’appartements.
Elisabeth Borne et le 49.3.

Vendredi 17 mars
Un repas d’anniversaire au vin blanc, viognier fruité et parfumé à l’apéritif (Roucas Toumba), puis côtes du Rhône bio, du domaine Julien de L’Embisque, superbe pour accompagner le foie de lotte et le grenadin de veau.

Samedi 18 mars
Quel binôme pour le prochain Va-et-vient ?

Lundi 20 mars
Grosse journée où je supprime la réunion du matin à laquelle de toute façon je n’étais pas prévue initialement. Du temps pour revoir mon cours d’italien du début d’après-midi, avant de filer chez le toubib et puis cinéma ce soir. Le fameux Interdit aux chiens et aux Italiens, manqué deux fois déjà et que nous partons voir à Bollène.

Mercredi 22 mars
Mon rêve foisonnant dans les tons gris et blancs bleutés de cette fin de nuit, se terminant dramatiquement par le départ d’une enfant et sa poupée. Elle traversait un porche pour aller dans la campagne et sautait sur une mine tandis qu’une voix off assénait « La guerre est à prendre ».

Jeudi 23 mars
Manif monstrueuse à Nyons. Dos et hanches en compote.

Vendredi 24 mars
Formation FRAPP. Encore une bonne journée pour clarifier notre mode de fonctionnement au sein de C & R…

Dimanche 26 mars
« On ne doit pas y être si mal puisque personne n’en revient » disait ma mémé du Cateau à propos de l’autre côté de la vie (Jo).

Mardi 28 mars
Visite aux dames de l’USLD. Colère de R. qui me raconte comment elle s’est sentie maltraitée par une nouvelle aide-soignante… Je transmettrai à qui de droit. Ce matin, séance ostéo et sa question étonnante. La vie et ses drôles de rencontres depuis ces dernières années… 

Jeudi 30 mars
Jour de marché. Mon préféré de la semaine ici ! J’achète du persil et de la ciboulette pour mes jardinières…

Vendredi 31 mars
Loupé le n° 36 hier des 40 exercices…

Carnet d’écrivain #36

Un inventaire : nos routines de lire-écrire. Hier a passé sans que j’aie eu le temps justement d’écrire quoi que ce soit. Essayé pourtant. Mais voilà. La machine a des ratés !

Un réflexe qui a maintenant trente-sept ans : lire les mails, y répondre. L’habitude date d’Apple, au temps où le logiciel s’appelait AppleLink, précédait Mail ou tout autre. Allumer le portable : WhatsApp et un message de La Réunion ? Du Québec ? De Guyane ? D’Orléans ? Naviguer sur les réseaux sociaux, marcher dans Avignon, visiter telle exposition, me retrouver à Paris, écouter un brin de musique, ailleurs quelle pièce de théâtre en vue, quel atelier d’écriture ? Terrain fragile : s’aventurer. Lire les nouvelles (Reporterre surtout, Médiapart, Les Mutins de Pangée). Planifier sur mon blog les publications déjà écrites. [Ou me lamenter de ne rien avoir préparé.] Trier les dernières photos prises ou reçues, les destiner à telle ou telle rubrique. Moleskine rouge, c’est le modèle du moment : y noter le rêve de la nuit (pour ma rubrique Rêves), l’essentiel du jour à venir, ou ce que j’ai omis de mentionner la veille (pour mon Carnet des jours. Jeter un œil à mon agenda, lister les impératifs de la journée. En ce moment me pencher sur la proposition d’écriture du jour (40 exercices pour le carnet d’écrivain) et la laisser mûrir. Voilà pour la matinée. En soirée, écrire la proposition du jour – ou prendre des notes dans le carnet du récit en cours – ou tenter l’écriture de la suite d’une fiction – ou commencer la rédaction d’un Va-et-vient. Une fois par semaine, ouvrir mon carnet des lectures et noter la synthèse de la dernière. Et tous les soirs quelle que soit l’heure, m’allonger à demi et lire enfin le roman ou l’essai du moment (Mes mille et une nuits, de Ruwen Ogien et Fragments de Marilyn Monroe pour cette semaine en cours).

Carnet d’écrivain #35

Ça m’arrive plus souvent qu’à mon tour ! Oublier les noms de lieux, de poètes, des titres de film, d’œuvres ultra connues, des compositeurs, un peu moins des noms de romanciers, mais je ne me berce pas d’illusions… c’est la proposition n° 35 des 40 exercices pour le carnet d’écrivain, et ça donne ceci…

© Marlen Sauvage 2019

Tu as vu Orgueil et préjugés ? Trois fois oui. Et Raison et Sentiments ? Humm… je ne sais plus, pourquoi ? Love and friendship ? Ben, non mais pourquoi ? [Je ne sais pas pourquoi justement, je cherche à retrouver un titre de film dont je ne sais strictement plus rien, ni le réalisateur, ni les acteurs, à peine une ambiance, et en tout cas même pas une histoire] Jane peut-être ? Je crois, oui. Mais c’est quoi ton souci ? Et La leçon de piano ? Oui, oui, Oui. Avec La leçon de piano, je comprends que je débloque totalement… Je tourne autour de quelque chose de vraiment flou, car si Jane Austen inspire les trois premiers, c’est d’une autre Jane dont il s’agit ici, Jane Campion, mettant en scène un roman d’une autre Jane. Je vais y arriver… Et ça y est, ça me revient, oh ! pas tout de suite ! Une fois que j’ai lâché l’affaire, décidé que ma mémoire me ferait défaut une fois encore, que je perdais la boule, que ce que je croyais impossible était entrain de m’arriver, quand j’ai juré in petto x fois de suite… Emma Thompson, Antony Hopkins, et le titre du film, le titre, le titre… Les Vestiges du jour ! Réalisé par James Ivory ! Il m’a sans doute fallu passer par trois Jane et une bonne dizaine de minutes pour arriver à James, c’est ce que j’en conclus sur les méandres de ma mémoire. 

Carnet d’écrivain #34

« Ça ferait bien une histoire pour… » voilà, c’est la consigne ! Quelque chose se passe aujourd’hui et on imagine ce qu’en ferait tel auteur… 

© Marlen Sauvage 2019

Elle glisse ses paumes tièdes sous le bas du dos de la patiente, appuie légèrement du bout des doigts sur… – où êtes-vous là, demande justement la patiente, – sur le rein, répond la praticienne d’un ton sûr et dégagé… L’intensité de la douleur est inversement proportionnelle à la délicatesse du geste – avec quel humour Daniel Pennac aurait-il raconté la scène dans son Journal d’un corps ? Elle s’attarde maintenant sur les vertèbres de la base de la colonne et explique avec précision l’attache du diaphragme, non seulement sur la cage thoracique mais aussi sur les trois premières lombaires, et comment le muscle respiratoire tellement sollicité durant l’hiver a occasionné des soubresauts répétés des vertèbres et autant de souffrances – Manu Larcenet aurait talentueusement dessiné ce faisceau de longues lanières musculeuses, le carré des Lombes, le psoas et jusqu’au visage de la patiente qui s’interroge à son propos tout en appréciant les lents étirements infligés dans cette partie de son corps par l’ostéopathe consciencieuse… 
Et au même moment, c’est le Traité des gestes de Charles Dantzig qui s’impose à la mémoire – sous quel intitulé aurait-il réuni ces palpations exploratoires?

Carnet d’écrivain #33

« Construire le vide on fait comment. » Tout François Bon dans cette consigne ! 40 exercices pour le carnet d’écrivain. J’ai testé pour vous.

© Marlen Sauvage 2019

Les yeux perdus | sans chercher où | les mains sur le clavier j’attends | un arbre une montagne un bout de nuage le vol d’un oiseau | contempler et oublier que je contemple | capter l’entre-deux | vous savez | ce vide entre les bouteilles d’un tableau de Morandi | errer entre| se laisser environner de bruits divers | entendre les silences | quelque chose a tourné tout le jour dans les pensées | faire confiance à mes doigts | au clavier peut-être

La papeterie Tsubaki, OGAWA Ito

© Marlen Sauvage 2019

Kamakura, Japon. Le quotidien d’une jeune femme écrivain public, héritière de la librairie de sa grand-mère.
Hatoko y retrouve les gestes et les interrogations de l’Aînée (ainsi nommée) elle aussi écrivain public, quant au choix de la calligraphie, la qualité du papier, de l’enveloppe, la couleur de l’encre et jusqu’au timbre qui doivent permettre de réaliser la lettre commandée. L’Aînée et sa sœur, la tante d’Hatoko, sont mortes mais revivent dans les pensées d’amour et de ressentiment que leur voue Hatoko. On se promène dans la ville de Kamakura aux multiples temples zen et sanctuaires shintô, au hasard des quatre saisons qui chapitrent le récit. On découvre des lettres de condoléances, de rupture, d’amour, remplies de poésie et de pudeur. C’est à la fois un hommage au métier d’écrivain public et aux Anciens, dépositaires de savoirs… et de secrets.

La papèterie Tsubaki, OGAWA Ito, éditions Picquier.
Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako.

Carnet d’écrivain #32

Garder en tête l’idée de trace, d’indice, et celle d’une présence. Les morts sont parmi nous. C’est tellement vrai !

© Marlen Sauvage 2019

La crête accidentée des Dentelles comme point d’horizon et un sentier pour y parvenir. Ils iraient là. Sa main indique le chemin | Le trou dans le bois truffier où rôtissait l’agneau du méchoui annuel. Son rire à travers les arbres | Les Jeux interdits qu’il enseignait à la guitare douze cordes. La musique forcément qui le rappelle | Cette façon de tourner les cheveux dans ses doigts. Souvenir raconté d’une fillette à sa petite sœur | La voix de la gamine de trois ans qui s’étonne d’un trou dans la roche. Ses explications sur l’érosion qui a façonné la pierre. Le ton du pédagogue. La matière dansante des mots dans l’oreille | 

Carnet d’écrivain #31

« Prendre chacun un petit lambeau de colère, terreur, désespoir, refus, injustice et on distord la phrase… » Je poursuis mes 40 exercices pour le carnet d’écrivain… La colère en ce moment, c’est du quotidien, j’ajoute ma phrase, mes mots, au « triste état du monde ».

© Marlen Sauvage 2019

Flammes | de barricades en cordes vocales | hurlent les chants | et la foule piétine | des larmes aux banderoles | flammes et pneus | le monde gueule | les slogans volent au-dessus | de la jeunesse | un morceau de chiffon | autour des bâtons dressés | on ne croit plus à rien | dans les porte-voix | flammes | pour une colère arrachée | au juste et au simple| rouge dans la rue | embrasons-nous | fichez le feu | flammes | des jours de colère | du ciel jusqu’aux abysses |des têtes au bout des piques | et l’enfer à vivre | puisque l’enfer à espérer

Le grondement de la montagne, Kawabata

© Marlen Sauvage 2023

Quand la vieillesse s’empare d’un homme qui sait sa fin prochaine et que la montagne vient le lui rappeler dans un rugissement qu’il est le seul à entendre… Tout est fluide et doux dans ce récit pourtant distrait par les frasques du fils, le fiasco du mariage de la fille, les souffrances d’une famille confrontée à la trahison, à l’avortement, à la médiocrité. Comme toujours chez Kawabata – ou en tout cas toujours ce que j’en retiens – la Nature et la beauté adoucissent les peurs, les angoisses, les obsessions. Ici, la jeune belle-fille du vieil homme éveille des sentiments troubles et oubliés. Tout ne fait que souligner la fraîcheur de la relation entre le personnage sensible du vieil homme et la jeune femme. Lire Kawabata pour moi, c’est assister à une cérémonie du thé, à l’éveil des cerisiers, au passage d’oiseaux blancs dans une écharpe de nuages.

Le grondement de la montagne, Yasunari Kawabata, (1954). 
Traduit du japonais par Sylvie Regnault-Gatier et Hisashi Suematsu.