
« Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… »
Marguerite Duras
« Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… »
Marguerite Duras
Une pause après la pluie dans le magnifique jardin de Mireille Piris qui m’accueillait hier pour un déjeuner-conversation… autour de l’écriture, de la maison, des rosiers, de la famille, des chats… Son Boulevard des Orangers, publié chez Noir et Blanc en 2017, m’avait forcément émue, comme tout ce qui touche à l’Algérie des années 60. Un récit où l’Histoire plonge l’adolescente dans une précoce maturité pourtant empreinte de poésie et de légèreté. J’ai découvert hier Une étrange modernité, chez le même éditeur, que j’ajoute à la liste de mes prochaines lectures.
MS
A peine ouverte
Danse la robe rose –
L’abeille vole
MS
(haïsha)
A trois reprises déjà, récemment, croisant son image dans un miroir – tête et corps – ça lui avait sauté aux yeux. La première fois, ce devait être en novembre dernier, en Cornouailles anglaises, chez cette jeune amie de sa femme qui se mariait en grandes pompes, dans une demeure fastueuse où les trumeaux s’ornaient d’immenses glaces bordées de bois d’acajou ou de moulures dorées à l’or fin. Après un millième de seconde, surpris, reculant d’un pas dans le salon où se pressaient les invités, un coup d’œil à son reflet… mais l’impression avait disparu. Une jeune femme s’étant méprise sur son intention avait accéléré le pas vers lui, lui prenant le bras, certaine d’avoir été attendue. Marion en avait été surprise, agacée d’abord puis amusée quand il lui avait raconté l’épisode. Les autres fois où cela s’était produit, tout avait été aussi fugitif, mais il se remémorait les situations, les circonstances, le lieu, l’instant…
Alors qu’il ajustait son nœud de cravate avant de partir au bureau, un vendredi – il se souvenait bien de ce vendredi car le numéro deux de la hiérarchie américaine débarquait ce jour-là, sans doute pas à l’improviste, mais on n’avait prévenu l’équipe que la veille au soir, et les commerciaux se devant d’être impeccables devant le boss, il avait hésité entre deux cravates en pure soie pendant un temps infini, les deux sur fond gris bleu mais l’une ornée d’un oiseau prenant son vol, l’autre de motifs floraux, puis il avait opté finalement pour l’oiseau au plumage orangé. Alors qu’il s’évertuait à aligner les motifs de l’extrémité la plus étroite du bout de tissu avec ceux du grand pan, il avait noté l’expression sur ses traits, tellement passagère qu’il ne l’avait pas retrouvée dans la minute qui avait suivi… Installé devant le miroir ancien de la chambre, il guettait sur son visage le signe mouvant, quelque chose dans le pli creusé de chaque côté des lèvres, qui donnait un peu d’amertume à son expression. Mais le dessin seul de la ride ne contenait plus ce qui avait suscité son étonnement. Cela surgirait-il dans une autre partie de son visage ?
Et hier, pour le passage de l’année à la suivante, invités à une soirée qui se déroulait dans une ancienne salle de danse, c’était arrivé encore alors qu’il tenait Marion serré contre lui pour un tango argentin. La renversant, il avait jeté un œil au miroir mural qui occupait le fond de la pièce pour admirer le corps mince de sa femme, drapé dans une robe rouge et noire des années soixante, sublime… Ce que lui avait révélé son regard alors… Troublé, il avait un millième de seconde perdu le rythme et s’en était excusé auprès de Marion, arguant que sa beauté l’avait confondu. Après quinze années de vie conjugale, l’anecdote avait ému leurs amis, tous en couple de fraîche date après plusieurs vies sentimentales chaotiques… Mais plusieurs fois dans la soirée, Marion avait surpris son regard perdu et s’en était inquiétée. Pour lui, l’étrange sensation d’avoir été l’espace de quelques secondes quelqu’un d’autre, parce qu’à l’image de leur couple s’était superposée celle de ses parents, et son souvenir imposait une photo où son père dansait avec sa mère, des dizaines d’années auparavant, dans une valse tourbillonnante, leurs regards intenses posés l’un sur l’autre. L’explosion dans les yeux d’une lumière, d’une douceur posée sur les traits de sa femme rejaillissait sur le visage paternel, le tout teinté d’un constat singulier : que le temps effacerait tout cela, que la magie de l’instant dont le père se réjouissait serait noyée dans le flux de la vie, que le vieillissement s’emparerait de leurs corps, de leurs désirs, de leurs rêves, de leurs projets.
Ça, c’était l’analyse qu’en avait faite les frangins et frangine. Ce n’était pas la sienne ! Frères et sœurs avaient de tout temps admiré la photo, la troublante complicité du couple, et souhaité vivre une relation identique, dans une même osmose. Comme ils l’avaient cherchée, l’âme sœur ! Dernier de la fratrie, lui seul, au fait des frasques de son père et témoin de nombreuses scènes où les reproches de sa mère fusaient en tous sens – indifférente à la présence du gamin qu’il était alors – lui seul connaissait la vraie nature de leur relation intime. Aujourd’hui, il pouvait l’affirmer : lui seul avait rencontré LA femme de sa vie. Frères et sœur avaient tous divorcé au moins une fois, portant aux nues le couple de leurs parents. Et alors qu’il pouvait s’enorgueillir de rendre heureuse la femme qui partageait ses jours, il découvrait bon sang de bois que les années avaient passé et qu’il avait pris les traits de son père, cet homme fat, sournois, détesté. Il reconnaissait les rides amères de chaque côté de la bouche, descendant jusqu’au bas du menton, le pli dur entre les sourcils, l’indéfinissable lassitude dans le regard posé sur lui-même et qui transparaissait dans la fameuse photo. Un doute énorme. Que savait-il finalement de ce que recouvrait le bonheur pour Marion ? Lui avait-il seulement posé la question ? L’angoisse lui nouait la gorge. Le regard de son père présent dans ses propres yeux lui révélait la fragilité des certitudes, la vanité de son existence, de ses choix de vie, la force vulgaire de ses préjugés, lui faisant craindre une immense solitude au moment de sa fin, et c’est l’accablement qui attrapa son corps tout entier et son esprit que surprit Marion, à quoi il ne sut que dire « Je ressemble à mon père. Ça me fait ce drôle d’effet, tu sais ? »
MS
(Ce texte a été écrit pour le jeu littéraire Va-et-Vient n°2).
« Avec l’âge vient la solitude. On perd des amis, des proches, et le voyage vers l’intériorité qu’impose le vieillissement confronte à une solitude ontologique. Il faut la différencier de l’isolement, qui est un poison à combattre à tout prix, car, dit-on, une personne isolée a deux fois plus de risques de perdre son autonomie. Une personne est isolée lorsqu’elle n’a personne autour d’elle avec qui elle peut partager ce qu’elle vit, pense, éprouve.
En revanche, il peut y avoir une « bonne solitude », une solitude assumée sinon choisie, lorsque l’on est devenu un bon compagnon pour soi-même, lorsque l’on a une vie intérieure riche. « A nous de faire en sorte que l’on ait plaisir à nous entendre, nous rencontrer, à communiquer avec nous. Adoucissons-nous ! », ai-je un jour entendu lors d’un groupe de parole consacré à la solitude. Cette solitude-là, qui est « joie, légèreté, fraîcheur » est ontologique, car elle n’est possible que si l’on a contacté son « noyau d’être ». Si on peut « habiter avec soi », si l’on a un jardin intérieur.
Cela implique d’être en paix avec soi-même, avec sa vie, avec les autres, de relire sa vie, de défaire les nœuds, de revisiter son histoire. Il y a donc tout un travail d’allègement à effectuer. Les vieilles personnes qui se sentent légères, au lieu de s’enfermer sur elles-mêmes, nous donnent le sentiment d’être ouvertes, curieuses d’esprit, disponibles et bienveillantes. Leur solitude n’est pas un poids pour les autres. Elles ne cherchent pas à la combler. »
L’aventure de vieillir, Marie de Hennezel, Editions Robert Laffont, 2022.
J’ai recueilli au cours des premières années de sa vie quelques-uns des mots de mon premier petit-fils, Justin. Sur les photos qui suivent, il a 2 ans, puis 4 ans. Aujourd’hui, Justin fête ses 18 ans, au Québec où il est né. Je publie donc de nouveau ces fragments, comme un cadeau d’anniversaire, et pour partager les fous rires que suscite toujours cette lecture.
Dialogue entre Justin (3 ans) et sa maman
S : Tu es déjà venu dans une église ?
Justin : Non.
S : C’est la première fois ?
Justin : Non, c’est la dernière.
(alors qu’ils se rendaient au baptême d’une petite cousine)
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Je vais courir avec les jambes en l’air !
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Pourquoi je suis mignon ?
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Quand on lui demande s’il aime sa nouvelle maison :
Je suis bien ici, Montréal, c’est la ville, c’est dangereux !
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En testant le toboggan dans le jardin :
Ça glisse moyen…
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Elle est où ma laile ? (en cherchant parmi ses legos l’aile d’un hélicoptère.)
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Justin, 4 ans
Sa maman lui parle en anglais, il répond :
Moi, je parle en majuscules (il voulait dire « en français »)
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Un de ses petits plaisirs : Merci…’l vous plaît.
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Justin demande à sa maman :
Wallace et Grommit, c’est des amireux ? … Des amireux ? … Ah ! J’arrive pas à dire des amoureux !
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Séance de coloriage :
Je déguise bien mes crayons… Attends, il faut je les réguise…
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Je n’aime pas Natacha parce qu’elle me dit que c’est pas drôle ce que je dis.
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Je répète crevette, crevette, crevette… Moi, j’aime bien le mot crevette.
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J’ai les doigts étourdis (en se réveillant de la sieste)
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A sa mère, parce qu’il vient de faire une bêtise :
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Il joue à courir partout, et manque se casser la figure sur le tapis.
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Discussion avec sa maman.
Justin : Pourquoi elle est belle ?
S : Elle a eu de la chance d’être née comme ça.
Justin : Pourquoi, toi, t’as pas de chance ?
(sa maman est très belle, je soupçonne un mot d’humour…)
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Stef achète de la lessive « verte » et le produit mentionne sur l’emballage une espèce protégée, ici, le manchot.
Justin qui voit ça s’exclame : On va sentir le pingouin ?
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Dialogue de sourds
J : Les lamborghini, c’est les plus rapides du monde…
S : C’est Mohamed qui t’a dit ça ?
J : Pourquoi ?
S : Parce que Mohamed aime bien les voitures, alors je me demandais…
J : Pourquoi, ton Ahmed il aime pas les voitures ?
S : C’est pas MON Ahmed, c’est MOhamed…
J : Pourquoi, ton Ahmed il aime pas les voitures ?
S : Pas Mon Ahmed, MO…
J : Mais il est A TOUT LE MONDE !
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S : Tu sais d’où il vient le lait que tu aimes tellement ?
J : Ça vient du frigo.
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A sa maman :
T’es la plus belle au monde ! Mais pas la plus belle de toutes les filles, là, mais quand même la plus belle au monde.
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Il se raconte une histoire en jouant :
Vous faisiez pas… vous f… Tu fais pas de bêtises !
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Maman, est-ce que tu peux chercher sur internet comment on apprend à faire
de la magie ?
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Il mange du poisson pané et essaie de le couper à la fourchette :
La carapace est trop dure.
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J : Beurk ! ça pue le popsicle !
S : Ben… ça pue pas le popsicle !
J : Ça sent le popsicle qui pue.
(le popsicle est un jus de fruit que l’on congèle dans un moule, et que l’on mange en sucette)
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Maman, je t’aime plus que tous les fruits. Même ceux qui ont été mangés, t’imagines ?
Et tous les légumes aussi.
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A son grand-père :
Est-ce que je t’ai dit que je t’aime beaucoup ?
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A la rentrée scolaire, la maîtresse demande aux enfants de dessiner « sur les sentiments ». Justin a choisi de représenter « être heureux » et sur son dessin, K. son beau-père et lui sont d’un côté de la feuille. Ils regardent Stéphanie de l’autre côté, que Justin a dessinée entourée de « protections »… contre les cailloux.
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Avec sa maman, Justin regarde Robin des Bois, et les personnages sont tous des animaux qui parlent et qui se tiennent sur deux pattes, ce qui intrigue beaucoup Justin. Au milieu du film, il demande : Est-ce que c’est ça, l’évolution ?
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Justin, enfilant un slip :
J’ai un tenticule qui dépasse…
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En fabriquant les décors d’Halloween, Stéphanie parle de la queue de la citrouille.
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Oh ! elle sont drôles ces pâtes ! on dirait des limaces… Non, je veux dire, des cloportes… mais des cloportes morts.
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Justin, 7 ans, mange son premier « fortune cookie »…
Photos : Marlen Sauvage, avec l’aimable autorisation de Justin.
Il s’y déroule le Printemps du polar chaque année depuis 2018, Cézanne y a habité sur la place de l’église, on peut s’y rendre en bateau depuis le Vieux-Port… C’est l’Estaque, ce quartier de Marseille dont le nom chante pour moi depuis Marius et Jeannette, de Robert Guédiguian, en 1997, jamais visité et découvert un week-end ensoleillé.
On peut y arriver par la route, mais par la navette, c’est un petit bonheur d’une demi-heure ! Un aller tranquille pour un retour très agité – de nombreux touristes rentrèrent en vitesse, copieusement arrosés par les vagues. Laisser Marseille derrière soi, la mairie, le fort Saint-Nicolas sur la gauche, le fort Saint-Jean et le Mucem à droite, la cathédrale de la Major, aux pierres vertes et blanches, puis apparaissent les quartiers nords au loin, ses grues, ses bateaux de croisière gros comme des immeubles, la Castellane, cité de Zidane, et enfin le petit port de l’Estaque. Le cadeau de la traversée ! Diaporama ci-dessous.
Place Maleterre, où se situe l’église, une plaque commémore le lieu où séjournait Cézanne. D’ici la vue est superbe sur la rade de Marseille. Un court diaporama…
Au Pôle des arts visuels, visite d’une exposition de 58 reproductions de tableaux peints par Cézanne au cours de ses séjours marseillais, entre 1864 et 1885. Une autre vision des environs dans un XIXe siècle encore épargné par les usines.
MS
« Tu n’as envie que d’exposer les faits en t’aidant d’un langage qui dépasse les relations de cause à effet et la logique. On a déjà raconté tellement de bêtises, rien ne t’empêche d’en raconter encore.
Tu inventes de toutes pièces, tu joues avec le langage comme un enfant joue aux cubes. Mais aux cubes, on ne peut construire que des figures fixes, toutes les structures sont sans doute contenues dans les cubes, impossible de faire quelque chose de nouveau, quelle que soit la manière dont on les dispose.
Le langage est comme une boule de pâte dans laquelle passent des phrases. Dès que tu abandonnes les phrases, c’est comme si tu pénétrais dans un bourbier dont tu ne peux plus ressortir.
Dans les ennuis, les tracas, l’homme est seul. Une fois que tu es dedans, tu dois t’en sortir par toi-même, pas de sauveur pour s’occuper de ces vétilles.
Tu rampes dans le langage en traînant tes pensées pesantes. Tu voudrais tirer un fil conducteur pour t’aider à en sortir, mais plus tu rampes plus tu es harassé, tu es ligoté par le fil conducteur du langage ; tel un ver à soie qui tisse son fil, tu fabriques un filet autour de toi, qui t’enserre dans des ténèbres de plus en plus profondes. La faible lumière au fond de ton cœur est de plus en plus ténue et, tout au bout du filet, ce n’est que le chaos. »
La Montagne de l’âme, Gao Xingjian
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