Comme des retrouvailles…

Une ombre dans un lit médicalisé. Une force de la nature qui aurait fini par rendre les armes. Le corps d’abord. Menu dans les draps. Imposant sur toutes les photos qui trônent sur un buffet bas. Une diva. Elle mourra chez elle après avoir convaincu médecins et famille de retourner dans sa maison en meulière, aux abords de Paris, entourée d’un jardin où résistent encore quelques pommiers anciens et un pêcher de vigne. Un intérieur arrangé pour la circonstance. La pièce éclairée par la lumière du soir donne un peu de couleur à ses joues. Tout ici est orangé : les murs rose pâle frappés par le soleil finissant, le parquet capucine qu’elle a elle-même posé et peint des années auparavant.

– Je n’arrive pas trop tard, j’espère, je ne vous fatiguerai pas, je ne resterai pas.
– Avance-toi, je veux voir ton visage… Mmmm. Tu as si peu changé.

Sa voix est lasse, ses traits reposés pourtant, sa peau étrangement lisse comme si les années n’avaient eu aucune prise sur elle et sur sa carnation. Pâle malgré tout. Avec ce léger voile rosé sur les pommettes. Elle a gardé son regard clair, vert. Peut-être l’iris a-t-il pâli légèrement, peut-être s’est-il embrumé d’avoir tant admiré, tant convoité, tant espéré. Elle saisit la potence d’un bras décharné. Refuse d’un geste son aide pour se redresser.

– Une infirmière doit passer me préparer pour la nuit. Parle-moi. Pourquoi es-tu revenu ?

Silence. Il avance une chaise près de la vieille femme, s’assied à portée de voix. La regarde. Inspire profondément. Au-dehors, la glycine a envahi le mur qui sépare la petite propriété de celle des voisins. Il les fréquentait jadis. Bien sûr, plus personne n’existe aujourd’hui. Elle seule et ses presque cent ans. Il a l’impression d’avoir fermé les yeux un bref instant. Les massifs de pivoines ont envahi l’espace, renversant leurs hampes sur la terrasse au carrelage italien. Une baie vitrée a remplacé la paroi de l’ancienne serre au verre serti dans le métal. Il observe tout cela. Elle attend. Il murmure finalement une réponse à l’oreille de celle qui l’a reconnu immédiatement. Elle le regarde intensément. Elle n’a pas lâché la potence. Ses doigts se crispent. On dirait les serres d’un oiseau de proie.

MS

Carnet de quinzaine (9)

Jeudi 4 janvier Revenir aux ateliers de François Bon, choisir L’autobiographie comme fiction pour commencer, alors qu’Enfances m’appelait. Danielle Collobert m’entraîne vers les Eaux étroites et c’est le livre de Gracq entre les mains que je relis dans la lumière mordorée de ce soir de janvier. J’y retrouve mes annotations, grises d’un crayon de bois sur le papier qui bruit entre les doigts, ces feuilles non massicotées pour lesquelles j’ai dû – il y a longtemps – utiliser le coupe-papier. J’embarque ainsi sur l’Evre, dans le silence de l’eau seulement rompu par les souvenirs de l’écrivain… Dimanche 7 janvier La nuit s’effondre vers 3 h du matin. Kenneth White pour compagnie, En toute candeur, emmitouflée dans une couverture au salon. La nuit arpente les collines matricielles de l’Ecosse natale du poète. Et cette lecture nourrit mes questionnements. Je devrais les écrire mais c’est lire et relire qu’il me faut « Nous mourons de superficialité et de manque de substance – d’étiolement de l’intellect. Nous devons retourner à la materia prima. » La nuit sera blanche. Mardi 9 janvier La Lance est sous la neige (photo). | La surprise d’un projet qui rebondit et trouve son thème ! Bernard P. me propose « des murs ». Grande joie. | Atelier en ligne. Une expérience ! Déjà hier j’avais écourté la réunion C&R pour retrouver l’équipe du Tiers-Livre. Ne plus faire que ce qui nous fait du bien ! (Dans la mesure du possible…) |Jo me rappelle un souvenir (non retrouvé d’ailleurs) d’un amour d’enfance. Impossible de me remémorer qui quoi quand où. C’était l’époque des retraites de communiants, semble-t-il, et j’étais tombée en amour pour un petit gars de mon âge… Quel dommage d’avoir effacé cette image… Mercredi 10 janvier Des kakis à gogo ! Le plaqueminier rayonne de mille fruits couleur du soleil couchant. | Ecouter une dame de 96 ans pleurer de ne pouvoir bénéficier de l’hospitalisation à domicile et de devoir entrer dans une maison de retraite… « Parce qu’on sait bien que quand on entre dans une maison de retraite, on ne mourra pas chez-soi.“ Quelle société offrons-nous à « nos » vieux [sans parler de « nos » jeunes] ? Lundi 15 janvier Ciel de lavis noir et blanc ce matin et 3° C tandis qu’au Québec, Stef croule sous la neige et qu’à La Réunion, Julie attend que le cyclone traverse l’île… Il paraît que les enfants chantent « Vive le vent », sans peur, avant que l’œil ne passe au-dessus d’eux…

MS