Des murs #11

Ce devait être juste un mot pour celles et ceux qui me disent attendre impatiemment « le mur » du vendredi. Un mot pour dire que j’allais faire une pause (d’autant que c’est la semaine du Va-et-Vient mensuel, mais je n’y contribue pas cette fois faute de temps et d’énergie). Et voilà que – je ne crois plus au hasard – je retrouve ce soir (jeudi) un livre d’Abe Kobo intitulé Les Murs. Y sont réunis six récits qui pour moi, n’ont rien à voir avec ce thème. Tout au moins n’en ai-je aucun souvenir (lu le livre il y a belle lurette). Aussi, à considérer les différents titres – Le crime de Monsieur Karma, Le Cocon rouge, L’inondation, La craie magique, Les Affaires, Le Tanuki de la tour de Babel – je m’interroge (et je vous interroge par la même occasion) : quel rôle peut bien jouer le mur dans chacune de ces histoires ? Vous pouvez y aller de vos propositions (à condition de ne pas avoir lu le livre !). Monsieur Karma a peut-être commis son crime au pied du mur, je veux dire contraint par les circonstances – encore qu’on peut imaginer retrouver une victime au pied de n’importe quel muret, muraille, cloison ou paroi dans n’importe quelle ville de n’importe quel pays ; le cocon rouge dissimulé dans l’anfractuosité d’un mur a sans doute été subtilisé par celui à qui il n’était évidemment pas destiné (l’histoire se déroule en Chine au onzième siècle…) ; tandis que dans une ville fluviale, le mur édifié sous le règne d’un empereur fameux et abattu sur ordre de zélés édiles aurait contenu l’inondation qui provoqua un drame terrifiant, etc. Et puis la mémoire est étrange… il me revient que la craie magique dans l’histoire d’Abe Kobo est celle qui permet au protagoniste, affamé, de dessiner de la nourriture : pain, pommes, beurre, brioche, lesquels quittent bientôt le mur pour prendre forme et se laisser déguster. Je ne me souviens pas de la suite de l’histoire. Vous l’imaginerez. Et me l’enverrez si le cœur vous en dit. Ce sera mon mur numéro 11, désolée. Bonne journée quand même !

Texte : Marlen Sauvage
Photo : Bernard Perlongo

 

Va-et-Vient n°13, L’invention d’un hasard

Photo : ©Stef Heendrickxen

Cette édition du Va-et-vient de mai a pour thème L’invention d’un hasard, et la consigne demandait d’insérer une phrase de Jack Kerouac : « J’étais assez saoul pour accepter n’importe quoi. » Je n’ai pas participé à ce jeu littéraire qui paraît tous les premiers vendredis du mois, mais j’ai le plaisir de vous renvoyer à la lecture des contributions de celles et ceux qui s’y sont collé ! 

• Amélie Gressier (Plume dans la main) et Isabelle-Marie d’Angèle (Isabelle-Marie d’Angèle)
• Dominique Hasselmann (Métronomiques) et Marie-Christine Grimard (Promenades en Ailleurs)
• Dominique Autrou (La distance au personnage) et Jérôme Decoux (Carnets paresseux)

Note : Le prochain Va-et-vient aura pour thème « L’absence imprévue ». Il sera publié le vendredi 7 juin.

Carnet de quinzaine (15)

Une photo de photo… celle d’Agnès VARDA © succession. Anne et Gérard Philippe, « Entre deux répétitions », 1958

Samedi 20 avril Retour de Paris. C’était l’hiver encore et la pluie. La Pitié… une ville dans la ville… Des allers-retours dans les couloirs à la recherche du bon « box », du papier manquant, alors qu’un rendez-vous est annulé dans l’instant par un nouvel interne. Elle a 87 ans et ne se plaint même plus. Ses yeux pleurent. C’est tout. | Ici aussi l’hiver revenu. Je tombe du train en descendant sur le quai, une chaussure atterrit sur le ballast, je vois une main plonger entre les rails sous le wagon, des bras me portent et m’écartent de la foule qui attend de s’installer, et je me retrouve d’un seul coup seule, égarée avec ma valise, tout près d’un banc où je m’assieds et me rechausse. Miracle de la chute… Je réalise dans le même temps que ma hanche ne me fait plus souffrir ! Mardi 23 R. a fini par s’endormir avec l’appareil à oxygène sur le nez. Mais elle m’entend et me sourit à travers le masque. Alors je reste une heure et demie. Nous inspectons un réticule rangé dans un tiroir, des boîtes à trésors dans une commode, j’admire ses croix en bois d’olivier, les chapelets aux perles en buis foncé, son missel de communiante daté de 1869, offert par sa marraine, à la couverture d’ivoire. Qu’elle souhaite classer tout cela, me raconter l’histoire de ses petites choses de religieuse me touche infiniment et je repars avec une étrange appréhension. Jeudi 25 Avignon. Je pense à Brigitte C. Je la cherche malgré moi dans les rues que je traverse. Le Jardin des Doms chauffe les os et pas un brin de vent pour agiter les grands panneaux en noir et blanc de l’exposition Jean Vilar. Philippe Noiret et Jean-Pierre Darras sur un minuscule vélo dans les années 50… Christiane Minazzoli… Maria Casares. Anne et Gérard Philippe. Quel joli temps que celui-ci. Il y dans ces clichés une insouciance, une joie de vivre, des sourires magnifiques devant l’objectif. Mardi 30 Patatras… il n’est plus question de hanche mais de colonne vertébrale à opérer. Gros coup de blues quand même…

MS

Des murs #10

Parmi les murs que me propose Bernard Perlongo, cette photo de céramiques murales. Aucune information de sa part,  mais je le sais, nous sommes à Kairouan. Et je retrouve ici la mosquée du Barbier. Sous un ciel cru, un soleil blanc qui illumine coupole, murs, colonnes… Ces murs-là m’évoquent un passé qui serait enfoui dans ma mémoire si je n’avais retrouvé mes notes et mes pensées. Aussi, les murs d’aujourd’hui seront un prétexte à parler de la ville de Kairouan telle que je l’ai surprise en 2014, telle qu’elle résonnait dans ma vie alors.

Al Qayrawan, « campement de caravanes ». Ville étape.
Etape. Arrêt sur. Vie.
Fondée en 671 par Oqba ibn Nafi.
2014. Découverte. De… en… On croyait au soleil et c’est l’orage qui crève le ciel. La lumière est si douce à travers la pluie.
Première ville du Maghreb à devenir musulmane.
Des hommes partout, des cafés sans femmes, envie d’un voile sur. Vie.
On recherchait une base pour la conquête de l’Ifriqiya, alors.
Mais il est tant de désirs de conquêtes. On est aveugle et on est sourd.
On la surnommait la ville aux 300 mosquées.
Entre parenthèses. Une demande de parenthèse. Ordinairement, on se retourne sur une parenthèse… Là, on ouvrait la parenthèse et advienne que pourra. [Les parenthèses appartiennent au système de ponctuation de la langue écrite ; elles introduisent et délimitent une réflexion, une notation incidente, et ne dépendent pas syntaxiquement des phrases précédentes ou suivantes. Larousse, dictionnaire de linguistique ».] [Ponctuer la vie. Sans réflexion. De façon unilatérale. Incendie. Désordre. Chamboulement. On attend la suite dans le noir. Tiraillée. Entre tirets. Hors de la. Fin de la.]
Inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Paumée. Fille de personne. Sans plus de père. Le grand tort des absents. Sans aucune référence. Alors se perdre dans les ruelles de la médina.
Une des plus belles médinas de Tunisie.
Compter sur soi. Sur la lumière d’un pays. Sur les rencontres, les surprises de la vie.
Compter avec.
“Comptez, […], que cette année et toutes celles de ma vie sont à vous  ; c’est un tissu, c’est une vie tout entière qui vous est dévouée jusqu’au dernier soupir”, [Sévigné, 8 janv. 1674]

Texte : Marlen Sauvage
Photo : Bernard Perlongo

Souvenirs en panne, Chrystel Courbassier

Un bord de mer en soirée, un anniversaire, une joyeuse tablée, dans la promiscuité du camping-car familial ; un chemisier blanc à gros pois colorés ; un paquet de cigarettes à l’eucalyptus ; une bouteille de vin en plastique vert « La Villageoise » ; des bouteilles en verre avec des étoiles au bord, la consigne, quelques centimes en échange ; une collection de code-barres découpés sur les emballages, Cédric, glissade, fracture du tibia ; allongée sur la banquette-arrière, mon père au volant, les lumières des phares qui défilent sur l’autoroute, Paris au matin ; une carte de ma tata, un brin de muguet dessiné dessus ; une maison, un garage, quelques copains éphémères, encore un Cédric, premier baiser ; un été, une amie au prénom oublié ; tata Jeanne, Rians, une boîte à bonbons ; une nuit de fête chez des amis, retour à la maison, seule dans la ruelle, sous la pluie peut-être, j’ai peur ; une grande chambre, un bureau devant la fenêtre, une fenêtre donnant sur la rue, une maison abandonnée en face ; un camping-car garé devant la maison, il est vert et gris, aux formes arrondies, toujours en panne, un seul souvenir de lui… 

Texte : Chrystel Courbassier
Photo : Bernard Perlongo – « Choses nettes, choses floues »

Hier, aujourd’hui

Hier, j’ouvrais le poulailler en surveillant le ciel.
Aujourd’hui, je pousse les volets bleus et je ris.
Hier, je parlais à voix basse.
Aujourd’hui, je chante par-dessus les toits.
Hier, je semais des fleurs dans mon jardin.
Aujourd’hui, j’admire celles qui poussent et ne m’ont rien demandé.
Hier, je rêvais devant les tombes d’un village venteux.
Aujourd’hui, j’écarquille les yeux devant la plaine immense.
Hier, j’exécrais le parfum des hellébores.
Aujourd’hui, je respire le basilic pourpre et le thym citron.
Hier, je pétrissais mon pain dans la montagne.
Aujourd’hui, je marche dans les ruelles aux pavés ensoleillés.
Hier, je débusquais les monstres dans l’écorce des châtaigniers.
Aujourd’hui, je guette les mésanges dans le grenadier.