Des murs #7

Un mur lumineux. Vous l’avez aperçu de loin. Fraîchement crépi, tout de blanc scintillant sous un ciel presque pur, le mur de la maison du bout de la rue. Plusieurs fois vous vous êtes fait la réflexion que cette façade avait besoin d’un coup de jeune, et là, ce mur, ce matin… Un phare. Comment passer d’un seul coup de l’ombre à une telle lumière… Aujourd’hui, vous portez le poids du monde sur vos épaules, vous marchez tête baissée, ruminant vos soucis. Ils vous accaparent depuis le saut du lit où ils vous ont cueilli, car vous n’avez en fait cessé de remâcher toute la nuit, et ce qui devait arriver était arrivé : l’annonce de la perte d’un contrat, l’amende pour le dernier excès de vitesse, l’annulation de votre week-end en amoureux… comme si vous aviez attiré le pire avec vos mauvaises pensées. Alors, vous avez pris du champ, vous avez décidé d’aller jusqu’au port. Dans le vent léger jeter votre fatigue, dans l’eau engloutir vos récriminations, votre ras-le-bol. Vous relevez la tête. Là derrière ce mur blanc, cette fenêtre, une voix suspend votre pas. Un chant a capella. Pur, ardent. Vous êtes une fraction de seconde, le pied en l’air, et vous traverse la pensée fulgurante d’un envol. Vous vous élevez auprès de la voix, dans ses harmoniques, son grain, vous vous glissez dans ses trémolos, et votre mauvaise humeur, votre chagrin, votre désarroi cessent instantanément. Le pouvoir de la voix, le mur blanc, le chant. Vous ne vous expliquez pas cette évidence. Vous rebroussez chemin. Vous regardez le mur de votre maison. La façade meurt, fanée avec le temps. L’orangé vous fait de la peine. Il s’est éteint, lui devant lequel les têtes chaviraient – on dirait l’Italie, aviez-vous entendu plusieurs fois, et combien cela vous avait comblé – et les volets de bois aux persiennes lamées ont aussi perdu leur belle couleur verte. Tout cela vous saute aux yeux. Dans l’instant, votre décision est prise.

Texte : Marlen Sauvage
Photo : Bernard Perlongo

4 commentaires sur “Des murs #7

  1. ah ah ah ! Merci Amélie, on en a de bons par ici aussi ! Plutôt que les carreaux (car il y a qq averses ces temps-ci), je nettoie pas mal mes lunettes, pas mal non plus. Des bises !

  2. C’est un magnifique texte, Marlen, et la photo lumineuse. J’ai tant aimé que je me suis prise au jeu d’écrire du bref avec tes mots, écrire dans tes pas… Cela me donne une idée d’atelier d’écriture, mais il faut des textes forts qui vibrent comme le tien pour éveiller le besoin d’écrire en écho.

    Le mur blanc, son chant

    Redresse les têtes,

    Passe de l’ombre à la lumière

    L’oranger éteint

    Copie ternie d’Italie

    Sa façade ne chante plus.

    C’est maladroit, mais tout à fait jouissif. Merci, Marlen.

    1. Anne ! Merci à toi. Et bien c’est une idée que je vais retenir moi aussi, avec d’autres textes que les miens, c’est sûr 😁

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