Le dîner, Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage – La can de L’Hospitalet

Le téléviseur trônait sur un meuble brun collé au mur, tapisserie années soixante-dix aux reliefs jaunis par les années. Dans tout l’appartement on pouvait entendre les voix mornes des deux candidats choisissant consonne ou voyelle de façon lente et saccadée. La comtoise égrenait ses secondes inéluctablement tandis qu’il lapait sa soupe dans un bruit de succion régulier. Chaque trois cuillérées, il portait de façon méthodique son crouton de pain rassis à la bouche, en croquait un morceau laissant tomber quelques miettes dans l’assiette. Il avala une gorgée de mauvaise piquette avant de porter le regard à l’écran. Après un bref instant, sept lettres : arriéré, il marmonna avant de retirer dans une moue grimaçante et à l’aide d’un cure-dents un bout de poireau coincé entre ses dents. L’assiette restée vide devant la sienne. Il acheva son potage puis se leva pour aller remettre proprement la chaise en place face à l’assiette vide. Il revint s’asseoir à sa place. L’animateur, vainement enthousiaste, dictait les chiffres à présent. Il se leva à nouveau, déplaçant son corps raide et épais jusqu’aux toilettes, ne prenant pas la peine de fermer la porte derrière lui, plus besoin. Après un jet d’urine puissant et prolongé dans la cuvette, il retourna se poser sur sa chaise, satisfait, achevant d’avaler son morceau de pain. Il attendait la suite, jeta un coup d’œil vers la cuisine restée allumée, s’apprêta à parler puis se ravisa, savait que ce n’était plus la peine. Il se décida enfin à se relever et traîna ses savates élimées jusqu’aux fourneaux. On l’entendit heurter un corps mou, l’enjamber, soulever un couvercle, renifler bruyamment et revenir vers la salle à manger, une casserole de daube réchauffée à la main. Le compte est bon, il se rassit, écouta la solution et piocha directement dans le plat.

Texte : Chrystel Courbassier

[Atelier en Cévennes, les textes (3)]

Rappel de la proposition
Il s’agissait de construire des personnages à partir de situations, d’actions, de description des lieux, sans que l’on sache grand-chose des personnages ni de leurs intentions. Pas de monologue intérieur, par exemple, pas de « tentation psychologique ou explicative »1. L’auteur convoqué est Cormac McCarthy, L’obscurité du dehors. MS

1- Une proposition issue d’un vieux bouquin que j’utilisais au début de ma pratique d’animatrice, très bien fichu, Atelier d’écriture : mode d’emploi, d’Odile Pimet (1999).

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