Mafate

Saisissement. Devrais-je dire « effroi » devant cet à-pic vertigineux plongeant sur les profondeurs de Mafate ? Quand le regard dévale, la première impression est que le corps va suivre les flancs noirs de la montagne, le cou se redresse et les épaules se rejettent en arrière malgré soi, le sang descend d’un coup dans les chevilles, cela ne dure qu’une milliseconde mais je l’ai éprouvée, cette frayeur du vide. Après, le sentier nous apprivoise malgré ses irrégularités, son étroitesse, les cailloux de lave qui roulent, et toujours cette proximité infernale. Le temps est avec nous et le soleil a percé les nuages épais, l’énorme brume s’élève au-dessus des pitons rocheux dévoilant les ilets au fur et à mesure de notre descente. Ce sont d’abord de petits points colorés où le rouge orangé domine, trois heures plus tard, ce sont des cases cernées par la nature, les plantes majestueuses, et toujours les lantanas et les capucines. On entend chanter les coqs avant la Brèche, parfois des voix nous parviennent d’autres promeneurs que l’on croise ou qui nous dépassent. La descente se fait douloureuse après une heure et demie de marche, les pauses s’imposent avec fruits secs et barres chocolatées, on descend une bouteille d’eau de Cilaos en remerciant la météo de nous laisser au sec et dans une chaleur voilée. À l’approche de Roche Plate, c’est un GR que l’on rejoint, une voie royale où le pied rebondit sur un parterre d’aiguilles, le corps soudain oublie ses maux, un ruisseau chante plus bas, la randonnée touche à sa fin. Comme le gîte n’ouvre qu’à 15 heures, on s’endort sur le bord du sentier après avoir siroté un coca acheté dans une épicerie voisine (trouvée au hasard du silence de cet étrange « village »)  et grignoté du cheddar (fabriqué en Australie !), du pain de maïs, acheté hier à Saint-Leu, et des gaufrettes au chocolat (importées du sud du Tyrol italien). 

(Souvenir de carnet, 2012)

6 commentaires sur “Mafate

  1. Ivresse du vertige… Et le réconfort des petites choses auxquelles on se raccroche ensuite, pour s’assurer d’être toujours bien là, vivant. Un peu plus qu’avant, peut-être. Merci pour ce beau texte Marlen.

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