Impasse des pensées

Peut-être devait-elle se faire à l’idée que sa vie ne serait plus qu’une succession d’instants de solitude à déguster des olives vertes accompagnées d’un verre de vin blanc sur la terrasse d’une villa, à La Marsa ou ailleurs, sous un ciel lavande. A regarder passer les hommes devisant à deux ou trois dans un dialecte incompréhensible, à écouter les voitures qui dans un crissement de freins aborderaient un passage pour piétons, à attendre l’hypothétique visite d’une rare amie avec laquelle elle aurait pu se lier au cours de ses longs mois ici, à jouir de l’air frais coloré par les citronniers et les mandariniers, les lantanas et les bougainvilliers. Entre deux traductions et quelques écritures.

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Peut-être devait-elle se faire à l’idée qu’elle était venue chercher cette présence à soi dans ce pays-là. Un pays toujours inconnu qui l’attendrissait par ses frémissements démocratiques, par sa schizophrénie maladive, sa gentillesse foncière, sa duplicité aussi, ses travers corruptibles, ce pays attachant où la proximité de la Méditerranée la réconciliait avec son autre bord. Rien ne se jouait entre les rives. Elle enjambait la mer de ses pensées inquiètes, elle n’en attendait rien. Il était question d’une terre plutôt que d’une autre, d’où viendrait la révélation. Et quelque chose apparaissait, trop fugace pour qu’elle l’appréhende, comme ces intuitions qui se saisissent d’un endroit de notre corps pour nous mettre en garde et dont la survenue est à la fois si intense et si brève qu’on ne sait plus où l’on a tressailli et qu’on ne les retient pas.

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Peut-être que l’anonymat dans lequel elle se fondait ici révélait sa part différente, son autre soi forgé durant les premières années de sa vie dans un autre Maghreb et qu’elle recherchait assidûment en toute inconscience depuis des décennies.

Alors la rencontre avec ce pays suffisait-elle à l’extirper de son questionnement diffus, à la dresser devant cette culture idéalisée, à en dessiner les limites, à en mesurer le décalage, à lui en révéler les passerelles… et combien l’harmonie serait tout entière à bâtir, à inventer.

A la réflexion, elle aimait les olives et le vin blanc.

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