Ecrire en novembre, par Claudine Albouy

Photo : Claudine Albouy

Errance

Nous nous apercevions de loin, lui sur son tapis de yoga insouciant au passage des promeneurs, moi me baladant. C’était un jeune homme presque blond avec un visage doux encadré de boucles. Un regard bleu un peu perdu ou ailleurs ? Torse nu dès le matin, toujours  habillé d’un pantalon bouffant bariolé qui lui cachait le corps. Un jour  nous avons échangé quelques mots, il était britannique et l’idée de me rapprocher de la langue de Shakespeare ne me déplaisait pas, ce jeune m’intriguait. Il est revenu plusieurs années de suite toujours de plus en plus attiré par ce pays Andalou et cette douceur de vivre. Il partageait son temps entre l’Angleterre, et la marche le longs des routes, s’interrogeait beaucoup sur ses choix de vie. Ingénieur de formation,  il se sentait de plus en plus inadapté à ce mode d’existence,  il avait envie d’autre chose et dans l’immédiat, un besoin impératif de cerner ses envies profondes. Il voyageait beaucoup à pied ou en stop, progressait lentement au fil des rencontres et cela lui convenait, un jour se louant pour les vendanges, l’autre pour la cueillette des pommes ou ailleurs pour aider un boulanger. Il restait le temps voulu décidé par celui qui lui proposait le gîte et le couvert. Il répondait oui souvent, tout essayer, tout découvrir pour s’enrichir et peut être découvrir son moi profond. Il emmagasinait ainsi dans sa besace au fil des rencontres, des savoir-faire. Il progressait aussi en français, en espagnol. Quand je l’ai connu, il logeait dans une minuscule toile de tente. Un jour, il a disparu nous ne l’avons plus vu. Quelques années plus tard, il est réapparu, changé physiquement, amaigri,  un visage plus émacié, toujours avec son regard bleu un peu absent. Il nous expliqua que maintenant il vivait ici toute l’année de petits boulots d’entretien dans les résidences secondaires, cela lui suffisait pour le nécessaire vital : se nourrir, acheter des livres, des cd. Il n’avait pas de souci de logement car il avait rejoint  la crique de San Pedro, un endroit squatté par des marginaux, un Eden ou la végétation s’accroche dans ce petit fjord grâce à une source connue des marins depuis l’Antiquité. Des écrits, des gravures racontent que les bateaux venaient y faire escale pour se ravitailler en eau potable. Le château sur le piton rocheux en défendait l’accès. Aujourd’hui ne subsistent que quelques pans de murs en ruine, ils abritent des personnages hauts en couleur, à l’allure inquiétante ! Des arbres fruitiers offrent leurs fruits à tous. Des habitations légères singulières poussent au gré des nouveaux arrivants, les plus anciens ont aménagé des abris rocheux dans la falaise calcaire avec de minuscules jardins et des fleurs. L’arrivée de la source est protégée par un rideau de roseaux et de plantes aquatiques, un paradis pour les batraciens qui s’y cachent. Des sculptures expressives très belles en calcaire jalonnent le parcours, un vrai havre de paix et de fraîcheur quand le soleil d’été se déchaîne. C’est émouvant de se souvenir que des corsaires ont foulé ce sentier ! Une microsociété vit là toute l’année, pas de route, pas de voiture juste une piste en plein cagnard interdite à la circulation, ce qui dissuade bon nombre de curieux. Un ponton de bois permet l’arrivée d’un bateau zodiac et d’y accoster. Quand la mer n’est pas trop agitée, un  va et vient existe suivant les besoins, entre la crique et le village le plus proche.

Le yogiste s’est arrêté là, abandonnant une vie stressante qui l’éloignait de plus en plus de l’essentiel. A San Pedro cette microsociété a vu le jour avec d’autres valeurs, une approche assez respectueuse de la nature. Cette vie  l’attirait  et après toutes ses errances, il a senti qu’il fallait se poser là ici et maintenant. Les habitants éphémères ou sédentaires se privent volontairement du toujours plus, de l’excédent d’une  consommation oppressante… Ce lieu  bouge, les artistes exposent du land art au bas des falaises au-dessus d’une eau transparente, ils savent que la mer engloutira les œuvres un jour de furie mais qu’importe ils recommenceront ! Sur la grande plage, la vie tourne au ralenti, je laisse le yogi à ses espérances pour une halte bienveillante, une pause provisoire ou définitive ou peut-être de nouveau un retour au voyage vers une nouvelle errance…

Avec Sophie Calle

Parce qu ‘elle avait vu son corps abandonné

jambes repliées sur le sable elle avait cru qu’il dormait

Avait-il choisi cet abandon définitif au bord de la grève

ou était-ce une malchance ?

Parce qu’elle imaginait son corps nu sur la dalle de granit

le bruit de la cascade l’avait submergée ensevelie

dans une douce mélancolie.

Parce que l’asphyxie était montée comme une marée lente inexorable

il avait tout quitté, identité, maison, travail, amis, famille

sans se retourner il avait tracé la route.

Textes : Claudine Albouy

Ces textes répondaient aux suggestions d’écriture de l’atelier de novembre 2020. MS

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