Un feu d’enfer, un texte de Stéphanie Rieu

© Marlen Sauvage 2017

Ce morceau de papier froissé est un intrus du présent. Car, à midi, c’est grillades. Une éclaircie entre deux averses. On ne va pas se priver d’un déjeuner champêtre. Je me charge d’allumer le feu. J’aime bien, le feu est mon ami depuis toujours, je sais ne pas l’étouffer en voulant le maîtriser. J’aime la façon dont il dévore les châteaux de bois en faisant danser les flammes, comme il remodèle les salles de bal sans jamais parvenir à éteindre la fougue des danseurs. Petite, bouche ouverte, je passais des heures devant la grande cheminée du Gers à me raconter les histoires que murmurait le feu pendant que pestaient les adultes à qui je gênais le passage vers l’armoire à apéritifs. J’empile tout sur les restes de charbon humide, journal, cagette, fagot de laurier, bûches d’un vieux cerisier et puis je retourne à la cabane de jardin en quête d’étincelle. A travers le fatras de l’hiver pas encore remisé, je trouve une boîte d’allumettes. Les circonstances défavorables ne m’auront pas. Soupir d’aise. Une affaire rondement menée, les choses vont aller bon train, les braises seront prêtes en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire : je n’en finis plus de me flagorner. Dans la boîte, deux allumettes au pauvre bout effrité. Elles ont tenu le temps qu’elles ont pu mais les miracles se font rares. Je déchante illico, la boîte finit dans le petit bois. Dans un vieux pot, un briquet… l’honneur est sauf, je vais pouvoir allumer un beau brasier et faire fi des petites voix qui m’agacent, qui me susurrent que les filles ne savent pas, que c’est voué à l’échec, il faut que je me dépêche si je veux leur montrer à tous. Ces « tous » qui ont disparu depuis belle lurette. Restent ces voix dans ma tête, ce combat intime qui me vaut souvent des regards interloqués de mes proches. Ils n’ont que l’image, pas le son. Les sous-titres, encore moins. En attendant, j’ai beau cajoler la pierre et faire monter la pression avec mon pouce, pas le moindre souffle de vie pour mettre le feu aux poudres. Je n’arrive pas non plus à lui faire allumer le réchaud à gaz de secours, l’étincelle est bien trop timide. En désespoir de cause, j’attrape un morceau de papier sec, le tortille, le range dans mon sac et fonce, rageuse, à la maison bien décidée à y trouver de quoi faire, sans avoir besoin de l’aide de personne, un feu d’enfer. Des heures plus tard, les côtelettes rongées, le feu finissant de fumer paresseusement sous l’impulsion perverse d’une vieille branche de romarin souffreteuse qui le pousse à cracher ses poumons avant de s’endormir, je retrouve le bout de papier froissé. J’ai complètement oublié de l’utiliser : les allumettes de la ménagère parfaite dénichée sous mon toit ont parfaitement fait l’affaire. Seule s’est éteinte, provisoirement sans doute, mon envie d’en découdre.

Autrice : Stéphanie Rieu

4 commentaires sur “Un feu d’enfer, un texte de Stéphanie Rieu

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